Posons-nous cette question : qu’est-ce qu’être adulte, et quel est l’événement qui nous fait basculer dans cet âge de la vie ? Selon toute vraisemblance, nous pensons à la fin des études, au fait d’être entré dans l’emploi, à une situation financière stable et autonome, au fait d’avoir quitté le domicile familial ou encore au fait d’avoir fondé sa propre famille. Cette vision de « l’être adulte » est restée la même depuis le début du XXe siècle. Or, nous observons aujourd’hui un allongement de la durée des études, un recul de l’âge du premier emploi à temps plein, des mariages plus tardifs et la naissance du premier enfant vers 30 ans.
En France, le sentiment d’être adulte est reporté au profit d’une phase d’exploration et d’expérimentations caractérisée par des années d’études et d’emplois instables. Alors que le temps de la jeunesse s’allonge, quel rôle les familles jouent-elles aujourd’hui dans cet accès à l’âge adulte ? Comment les relations entre parents et enfants se redéfinissent-elles alors ? Et comment les parents réagissent-ils à la prise d’indépendance des jeunes ?
L’émergence de l’âge adulte, une transition psychosociale
L’évolution de nos sociétés actuelles nous amène à repenser la jeunesse. Afin de mieux appréhender cette période, Jeffrey Arnett, chercheur étasunien, propose la notion d’emerging adulthood, d’émergence de l’âge adulte. La période d’émergence de l’âge adulte se distinguerait de l’adolescence et de l’âge adulte selon cinq caractéristiques :
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L’éventail de possibilités, choix et opportunités qui s’offrent aux jeunes concernant leur avenir ;
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L’instabilité : tous les changements initiés par les jeunes comme le fait de déménager ou de changer de formation ;
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L’exploration identitaire, l’exploration des différentes possibilités d’un point de vue sentimental et professionnel ;
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La centration sur soi : normative, elle permet aux jeunes de devenir autosuffisants, c’est-à-dire d’apprendre à se débrouiller par eux-mêmes ;
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L’entre-deux, sentiment d’ambivalence entre adolescence et âge adulte : se sentir ni adolescent ni adulte.
Cette période pourrait s’étendre de 18 à 29 ans selon les sociétés et les parcours de vie des jeunes (par exemple, selon la rapidité d’entrée sur le marché du travail). Cette période se traduit par un « âge des possibles » à travers une prise d’autonomie, une relative indépendance vis-à-vis des règles sociales, un engagement dans de nombreux comportements exploratoires. Ces jeunes vont progressivement essayer de trouver leur place au sein de la société et dans le « monde adulte » en tant qu’individus indépendants.
En parallèle des travaux d’Arnett, en France, Olivier Galland évoque un nouvel âge de la vie rendant compte d’un allongement de la période entre la prise d’indépendance vis-à-vis de l’autorité familiale et la fondation de sa propre famille. Cette période se caractériserait par une forme de liberté éphémère non contrainte par l’autorité parentale ni par de nouveaux engagements familiaux. L’entrée dans la vie adulte ne se ferait plus de manière synchronisée, à un âge donné, mais dépendrait des expériences propres à chacun.
La jeunesse constituerait ainsi une phase de préparation à l’exercice des rôles adultes. Le sentiment d’être adulte serait donc davantage lié à une accumulation d’expériences sociales et non plus à une identification fondée sur l’héritage social et familial.
L’émergence de l’âge adulte, ou nouvel âge de la vie, constitue ainsi une période de transition psychosociale, c’est-à-dire une période s’accompagnant de changements majeurs, souvent durables, affectant les représentations du monde que les individus ont. Cette transition est graduelle et ambiguë. Au niveau familial de nombreux changements vont s’opérer. Se définir comme étant adulte va alors être davantage lié à des changements survenant au sein de la famille qu’à des critères individuels.
Construire son indépendance
« L’adulte » est pensé par les jeunes comme étant à la fois autonome dans ses comportements et attitudes et également indépendant de sa famille et de ses parents. L’autonomie et l’indépendance, souvent confondues, sont deux concepts distincts. L’autonomie englobe différents construits comme l’indépendance, le détachement, l’autogouvernance et l’isolement. Être autonome signifie être capable d’agir selon sa propre volonté, de faire l’expérience du choix et de s’autoréguler.
L’indépendance quant à elle est une facette de l’autonomie. Être indépendant, c’est être en mesure de prendre des décisions par soi-même, indépendamment de ses parents, par exemple. L’autonomie est l’expression d’une volonté propre alors que l’indépendance peut être volontaire comme contrainte. Par exemple, après l’obtention du baccalauréat, le jeune peut se retrouver en situation d’indépendance du fait de devoir quitter le domicile familial pour poursuivre ses études et ainsi accéder à une formation qui lui plait.
Au sein de la famille, une relation est particulièrement déterminante dans le développement de l’autonomie et de l’indépendance de l’individu, et ce tout au long de sa vie : c’est la relation parents-enfant. Chez le jeune, cette relation est prégnante, car elle va progressivement évoluer pendant l’adolescence et l’émergence de l’âge adulte. Comme le jeune devient majeur, qu’il commence à prendre des responsabilités, qu’il fait ses propres expériences en dehors du foyer familial, une prise de distance va s’opérer.
La relation parents-jeune va progressivement se redéfinir pour passer d’un ordre hiérarchique à un ordre plus symétrique, d’égal à égal, qui implique une réciprocité. Cette transformation va être facilitée par le fait de quitter le domicile familial et traduit un processus de séparation-individuation du jeune. Ce processus implique pour le jeune d’abandonner ses représentations infantiles de lui-même et du monde qui l’entoure pour établir de nouvelles conceptions de Soi comme entité distincte de ses parents.
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Le jeune, du fait de son développement, ne se considère plus comme un enfant et ne voit plus ses parents comme des figures omniscientes et toutes-puissantes ; il y a une dé-idéalisation des parents. Les jeunes prennent ainsi conscience de la distinction entre leurs parents et eux et cherchent activement à s’individualiser. La période de l’émergence de l’âge adulte peut être propice à une ambivalence de sentiments entre le désir de rester lié et proche de ses parents et celui de devenir indépendant.
Se séparer tout en gardant le lien : les ajustements de la relation parents-enfants
En prenant son indépendance, le jeune attend de ses parents qu’ils le traitent non plus en enfant, mais en adulte. Pour autant, certains parents peuvent continuer à ressentir le besoin d’aider le jeune comme si celui-ci était toujours un enfant. La difficulté va être de trouver un équilibre entre distance et proximité dans la redéfinition de la relation parents-jeune. La transition vers l’âge adulte résulterait donc de microtransitions au sein du domicile familial et de macro-transition en dehors. En ce sens, les parents permettent au jeune de devenir un adulte à part entière.
Les changements s’instaurant dans la relation parents-jeune peuvent être mal reçus par le parent qui va continuer à voir le jeune comme un enfant et non comme un adulte en devenir. Le film Mon bébé qui met en scène Sandrine Kiberlain en mère fusionnelle cherchant à conserver le moindre souvenir de sa fille qui va quitter le « nid familial » en est une parfaite illustration. Il témoigne de la difficulté à redéfinir la relation parents-jeune et des enjeux de cette période aussi bien pour le jeune que pour le parent.
Le processus de séparation-individuation est normatif et permet au jeune d’avoir le sentiment d’une individualité propre et donc de pouvoir se sentir adulte. L’indépendance vis-à-vis de sa famille, et plus particulièrement de ses parents, est au centre de la question du devenir adulte.
Basilie Chevrier, Maîtresse de conférences en psychologie, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.