Le concept de schizophrénie se meurt. Attaqué depuis des décennies par les psychologues, il semble que ce soit les psychiatres – profession qui l’a pourtant longtemps soutenu – qui lui assènent le coup fatal. Et personne ne regrettera sa disparition.
Aujourd’hui, on considère qu’être diagnostiqué schizophrène réduit l’espérance de vie de près de 20 ans. Seulement une personne sur sept en guérit, un taux variable, cependant, en fonction des critères retenus. Malgré les progrès faramineux annoncés dans les traitements, cette proportion n’a pas augmenté au fil du temps, signe d’un problème de fond.
Une partie de ce problème se révèle être la notion de schizophrénie elle-même. Les Journées de la schizophrénie, qui se tiennent en France et en Suisse jusqu'au 24 mars sous le parrainage de l'écrivain Félicité Herzog, donnent l'occasion de s'y pencher.
Les fondements sur lesquels repose l’idée que la schizophrénie est une maladie clairement définie ont en effet été sévèrement ébranlés.
Dans la lignée des réflexions sur le concept de trouble du spectre autistique, l’idée que la psychose (typiquement caractérisée par des expériences hallucinatoires éprouvantes, des idées délirantes, des pensées confuses) puisse exister sur un continuum et à différents degrés est actuellement en discussion. La schizophrénie est alors décrite comme étant l’extrémité du spectre ou d’un continuum de symptômes.
Jim Van Os, professeur de psychiatrie à l’Université de Maastricht (Pays-Bas), estime que nous ne pouvons pas changer notre façon de penser la maladie sans changer notre vocabulaire. Aussi, il propose que le terme schizophrénie soit supprimé. Il suggère de le remplacer par le concept de trouble du spectre de la psychose.
Un autre problème est que la schizophrénie est dépeinte comme une maladie du cerveau chronique et sans espoir de rémission. En conséquence, certaines personnes ayant reçu ce diagnostic, ainsi que leurs proches, ont pu s’entendre dire qu’il aurait été préférable d’être atteint d’un cancer, le cancer étant plus facile à guérir… Pourtant, cette vision de la schizophrénie n’est possible que si l’on ne prend pas en compte les personnes rétablies. Par exemple, on a dit à certaines personnes rétablies que « finalement ça n’était pas la schizophrénie ».
La schizophrénie, dans le sens d’une maladie du cerveau discrète, dégénérescente et sans espoir de guérison, « n’existe pas », estime Van Os.
Un terme qui appartiendra bientôt à l’histoire
La schizophrénie peut au contraire s’exprimer de plusieurs manières différentes. L’éminent professeur de psychiatrie britannique Robin Murray décrit comment :
« Je m’attends à voir bientôt la fin de la schizophrénie… le syndrome commence déjà à décliner, par exemple, dans les cas causés par des variations [génétiques] du nombre de copies d’un gène, l’abus de drogues, les problèmes sociaux, etc. Probablement, ce processus s’accélérera, et le terme de schizophrénie appartiendra bientôt à l’histoire ».
La recherche explore maintenant les différentes façons dont les gens peuvent se retrouver à vivre de nombreuses expériences jugées caractéristiques de la schizophrénie : hallucinations, idées délirantes, pensées et comportement désorganisés, apathie et alexithymie (la difficulté à exprimer ses émotions).
En effet, l’erreur faite par le passé a été de prendre un chemin pour LE chemin d’accès ou, plus généralement, de confondre une route subsidiaire/de campagne avec une autoroute. Par exemple, dans leur étude publiée en 2003 sur le parasite Toxoplasma gondii, transmis aux humains par des chats, les chercheurs américains E. Fuller Torrey et Robert Yolken ont soutenu l’idée que « l’agent étiologique le plus important [cause de la schizophrénie] pourrait s’avérer être un chat contagieux ». Ce n’est évidemment pas le cas.
Des travaux suggèrent que l’exposition d’un jeune à Toxoplasma gondii peut augmenter la probabilité d’être diagnostiqué schizophrène. Cependant, cette probabilité est moins que doublée. C’est, au mieux, comparable à d’autres facteurs de risque, et probablement beaucoup plus bas.
Par exemple, avoir connu une enfance perturbée, consommer du cannabis ou avoir eu des infections virales infantiles du système nerveux central, augmentent chacun d’un facteur 2 à 3 la probabilité que quelqu’un soit diagnostiqué avec un trouble psychotique (comme la schizophrénie). D’autres analyses révèlent des nombres plus élevés encore.
Par rapport aux personnes ne consommant pas de cannabis, l’utilisation quotidienne de cannabis fortement dosé (comme la variété « skunk ») est associée à une probabilité cinq fois plus grande de développer une psychose.
Par rapport à quelqu’un qui n’a pas subi de traumatisme, ceux qui ont subi cinq types différents de traumatismes (y compris les abus sexuels et physiques) voient leur risque de développer une psychose augmenter de plus de 50 fois.
D’autres modes d’entrée dans la « schizophrénie » sont en cours d’identification. Environ 1 % des cas semblent découler de la suppression d’une petite séquence d’ADN sur le chromosome 22, appelé syndrome de délétion 22q11.2. Il est également possible qu’un faible pourcentage de personnes avec un diagnostic de schizophrénie puissent ressentir des symptômes dus à l’inflammation du cerveau causée par des maladies auto-immunes tels que l’encéphalite à anticorps anti-NMDA – bien que cela demeure controversé.
Tous les facteurs ci-dessus pourraient conduire à des symptômes similaires que nous avons classé, à titre préliminaire, dans une même rubrique portant le nom de schizophrénie. Chez une personne, les symptômes peuvent résulter d’un dysfonctionnement cérébral avec une base génétique forte, potentiellement amplifié par une exagération du processus normal d’élagage des connexions cérébrales qui se produit pendant l’adolescence. Chez une autre, les symptômes peuvent être dus à une réaction post-traumatique complexe. De tels facteurs internes et externes pourraient également se combiner.
Les chercheurs se divisent en deux camps qui se font la guerre à propos de la schizophrénie : ceux qui la considèrent comme un trouble du développement neurologique génétiquement modifié et ceux qui la considèrent comme une réponse à des facteurs psychosociaux, comme les traumatismes. Quoi qu’il en soit, chaque camp possède, à l’évidence, certaines pièces du puzzle.
L’idée que la schizophrénie était une seule et même chose, à laquelle on arrive par un seul chemin, a contribué à ce conflit.
Plusieurs causes, un seul traitement
De nombreuses maladies, telles que le diabète et l’hypertension, peuvent être provoquées par des causes multiples qui ont néanmoins un impact sur les mêmes voies biologiques. Et elles répondent au même traitement. Il pourrait en être de même pour la schizophrénie. En effet, les nombreuses causes de la schizophrénie discutées ci-dessus peuvent toutes avoir au final le même effet : des niveaux accrus, dans le cerveau, d’un neurotransmetteur, la dopamine.
En ce sens, la question de savoir si on peut vaincre la schizophrénie en s’attaquant aux facteurs qui la causent est un débat quelque peu « académique » (théorique), dans la mesure où cela ne dit rien du traitement à utiliser. Il existe cependant de plus en plus de preuves que les différentes voies menant à la schizophrénie puissent nécessiter des traitements spécifiques.
Des études préliminaires suggèrent que les antipsychotiques sont moins susceptibles d’aider les personnes diagnostiquées schizophrènes ayant des antécédents de traumatismes dans l’enfance. Cependant, des recherches complémentaires sur le sujet sont nécessaires et, bien sûr, une personne prenant des antipsychotiques ne doit pas cesser son traitement sans avis médical. Il a également été suggéré que si certains cas de schizophrénie sont en fait une forme d’encéphalite auto-immune, le traitement le plus efficace pourrait être l’immunothérapie (comme les corticostéroïdes) et la plasmaphérèse (lavage du sang).
Pourtant, l’image qui commence à se dessiner manque de netteté. Certaines approches nouvelles, telles que la thérapie familiale basée sur le dialogue ouvert (en anglais, open dialogue), sont prometteuses pour un large éventail de personnes ayant un diagnostic de schizophrénie. Des interventions générales mais aussi spécifiques, c’est-à-dire personnalisées en fonction des expériences ayant mené à la schizophrénie, paraissent toutes deux nécessaires. Il est donc essentiel de tester auprès des personnes concernées toutes les causes potentielles. Ces dernières incluent les mauvais traitements pendant l’enfance, sur lesquels ces personnes ne sont pas forcément interrogées habituellement.
La différence d’action des traitements selon les personnes est sans doute une meilleure explication des guerres autour de la schizophrénie. Le psychiatre, le patient ou la famille qui voient des effets spectaculaires avec des médicaments antipsychotiques défendent évidemment cette approche. Ceux pour qui les médicaments ne fonctionnent pas, mais que des approches alternatives – par exemple les groupes d’entendeurs de voix – semblent aider, portent ces méthodes aux nues.
Chaque groupe voit l’autre comme refusant une approche qui s’est avérée efficace pour lui. Des plaidoyers aussi passionnés peuvent tout à fait être entendus, mais pas au point où certaines personnes pourraient se voir refuser une approche qui fonctionnerait pour elles.
Et ensuite ?
Tout cela ne signifie pas que le concept de schizophrénie ne sert à rien. Beaucoup de psychiatres le considèrent toujours comme un syndrome utile du point de vue clinique, car aidant à définir un groupe de personnes dont les besoins en santé sont évidents. Dans leur esprit, ce concept définit un mécanisme biologique certes encore incompris, mais reposant sur une base génétique substantielle commune à de nombreux patients.
Certaines personnes trouveront utile de recevoir un diagnostic de schizophrénie. Cela peut les aider à accéder à un traitement. Cela peut améliorer le soutien de la famille et des amis. Cela permet de donner un nom aux problèmes qu’elles rencontrent. Cela peut indiquer qu’elles subissent une maladie, et non un échec personnel.
Bien sûr, beaucoup d’autres ne trouvent pas ce diagnostic utile.
Au moment où nous passons à l’ère post-schizophrénie, nous devons conserver les avantages de ce terme et en éliminer les aspects négatifs.
Ce à quoi la suite va ressembler n’est pas clair. Le Japon a récemment rebaptisé la schizophrénie « trouble de l’intégration ». Nous avons vu plus haut l’idée d’un nouveau « trouble du spectre de la psychose ». Cependant, historiquement, la classification des maladies en psychiatrie s’est avérée être le résultat d’une lutte où « le professeur le plus célèbre et le plus convaincant l’emporte ».
La solution qui émergera devra se fonder sur des preuves scientifiques et sur une discussion incluant le point de vue des personnes qui affrontent ces symptômes et en souffrent.
Quoiqu’il renaisse des cendres du terme « schizophrénie », le choix futur devra offrir les moyens d’aider ceux qui se débattent avec ces troubles bien réels.
Le Centre collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale, à Lille, s’est chargé de la traduction depuis l’anglais de cet article. Précisément Audrey Fontaine (interne en psychiatrie au CCOMS), Déborah Sebbane (chargée de mission au CCOMS, chef de clinique de psychiatrie au CHRU Lille) et Jean‑Luc Roelandt (directeur du CCOMS, membre de l’unité Inserm Epidémiologie clinique et évaluation économique appliqué aux populations vulnérables). Le CCOMS travaille à la révision de la classification internationale des maladies psychiatriques, la CIM. Dans ce cadre, il a coordonné le numéro de la revue L’Information psychiatrique sur les troubles schizophréniques.
Simon McCarthy-Jones, Associate Professor in Clinical Psychology and Neuropsychology, Trinity College Dublin
Cet article est republié à partir de notre partenaire The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.