Veiller à adopter une alimentation équilibrée, à réduire sa consommation d’alcool, à surveiller son poids et à pratiquer une activité physique régulière sont des attitudes connues qui jouent un rôle important dans la prévention des cancers.
Mais que dit la science de l’impact de ces facteurs chez les patients atteints d’un cancer ? Quelles sont les recommandations à formuler à destination des patients et des professionnels de santé qui les prennent en charge ou les accompagnent ?
Publié en octobre 2020, le rapport que l’Institut National du Cancer (INCa) et le réseau National alimentation cancer recherche (réseau NACRe) consacrent à ce sujet apporte des réponses solidement étayées : les résultats de 243 études publiées entre 2012 et 2019 ont été examinés et analysés. Voici leurs conclusions.
La prise en charge des cancers s’améliore
On estime qu’en France, près de 3,8 millions de personnes vivent avec un cancer ou en ont guéri. Grâce aux progrès de la médecine et à l’amélioration du dépistage et de la prise en charge, la survie des patients s’est améliorée pour plusieurs cancers. Par exemple, la survie à cinq ans a progressé depuis les années 1990 pour les cancers du sein, de la prostate, du côlon-rectum, du mélanome cutané et de la plupart des hémopathies malignes.
La prise en charge en cancérologie va en effet au-delà des traitements anticancéreux : elle prend en compte l’amélioration de la qualité de vie des patients et la réduction des risques de morbidité et de mortalité. Pour cette raison, après un diagnostic de cancer, une prévention (aussi appelée prévention tertiaire) est mise en place. Sa mise en œuvre repose sur plusieurs leviers : le sevrage tabagique, la réduction de consommation d’alcool, la pratique d’activité physique, et des comportements alimentaires sains et adaptés.
Si la mauvaise alimentation, le surpoids, le manque d’activité physique ou la consommation d’alcool sont connus pour avoir un impact négatif sur le risque d’apparition d’un cancer, les conséquences de ces mêmes facteurs sur le pronostic de la maladie, la qualité de vie, les comorbidités, les récidives ou les seconds cancers ont été jusqu’ici peu étudiées.
La dernière expertise internationale sur le sujet date de 2012. Il s’agit d’une revue de la littérature scientifique publiée par l’American Cancer Society (ACS), qui avait permis de proposer des recommandations destinées aux patients atteints de cancer. Elle soulignait l’importance d’une alimentation riche en produits à base de plantes et céréales complètes, du maintien d’un poids de forme et de la pratique d’une activité physique régulière, et alertait sur la consommation de compléments alimentaires à base d’antioxydants.
Malheureusement, outre cet exemple, trop souvent le niveau de preuve est jugé insuffisant pour pouvoir formuler des recommandations, car le nombre de travaux scientifiques à disposition est généralement trop limité.
Rappelons qu’il existe trois niveaux de preuve (par ordre décroissant) : convaincant, probable, suggéré/limité. Ceux-ci dépendent du nombre, de la qualité, de la cohérence des études disponibles, ainsi que de l’existence de mécanismes sous-jacents permettant d’expliquer les effets constatés. Quel que soit son type (étude d’observation, essai clinique, études sur des modèles animaux ou cellulaires…), une étude isolée ne permet pas, à elle seule, d’établir l’effet protecteur ou délétère d’un facteur donné.
Pour pallier ce manque, l’INCa a mis en place fin 2017 un groupe d’experts – tous membres du Réseau NACRe – pour réaliser une actualisation de l’état des connaissances. Un des objectifs était de fournir aux patients atteints de cancer et aux professionnels de santé des recommandations nutritionnelles adaptées lorsque les niveaux de preuve actuels le permettent.
Boissons alcoolisées
La consommation d’alcool s’est avérée être un facteur de risque de second cancer primitif des voies aérodigestives supérieures (cancers de la sphère ORL) avec un niveau de preuve probable.
Il est donc recommandé aux patients porteurs de cancers des voies aérodigestives supérieures d’éviter toute consommation d’alcool. Il est recommandé aux patients atteints d’autres cancers d’en limiter la consommation, comme dans le cadre de la prévention primaire.
Aliments, régimes, compléments alimentaires
Concernant l’alimentation, la consommation d’aliments riches en fibres (céréales complètes, légumes secs, fruits et légumes) s’est avérée avoir un impact favorable sur la mortalité globale chez les patientes atteintes de cancers du sein, avec un niveau de preuve probable.
Bien que des études suggèrent que la consommation de soja, après diagnostic d’un cancer du sein, puisse être associée à une diminution du risque de récidive (niveau de preuve suggéré), en l’absence de précision sur les quantités, les durées, la temporalité par rapport aux traitements et les possibles interactions délétères avec les traitements, par précaution, il est déconseillé aux patientes atteintes de cancer du sein de consommer cette légumineuse.
Les régimes pauvres en graisses ont un effet protecteur sur la mortalité globale et la récidive chez les patientes atteintes de cancer du sein avec un niveau de preuve probable.
Rappelons toutefois qu’il n’existe pas de preuve scientifique avérée sur le bénéfice de la pratique du jeûne ou de régimes restrictifs chez les patients atteints de cancer, et que ces pratiques pourraient augmenter le risque de dénutrition et de perte de masse musculaire (sarcopénie), qui sont des facteurs de mauvais pronostic du cancer.
Concernant les compléments alimentaires, les données sont éparses et peu précises. Bien que la consommation de compléments alimentaires à base de vitamine C soit associée à une réduction de la mortalité chez les patientes atteintes de cancer du sein, en l’absence de précision sur les quantités, les durées, la temporalité par rapport aux traitements et les possibles interactions délétères avec les traitements, il est déconseillé à ces patientes d’en consommer.
De manière plus générale, il est conseillé de ne pas recourir aux compléments alimentaires, sauf indication médicale, et d’assurer ses besoins en vitamines et minéraux par une alimentation équilibrée. De même, en l’absence de données sur des populations européennes, il est conseillé de ne pas recourir à des extraits ou décoctions de plantes et de champignons médicinaux chinois.
Surpoids, dénutrition et sarcopénie
Le surpoids (indice de masse corporelle (IMC) > 25 kg/m2, où l’IMC=Poids en kg/Taille2 en m) et l’obésité (IMC > 30 kg/m2) augmentent le risque de récidive de cancer du sein (niveau de preuve probable). Ils augmentent également le risque de mortalité globale chez les patients atteints de cancer du rein (niveau de preuve probable), mais, à l’inverse, diminuent le risque de mortalité chez les patients atteints de cancers du poumon et de l’œsophage (niveau de preuve probable).
L’obésité augmente le risque de mortalité et de récidive dans le cas du cancer du sein (niveau de preuve probable), et le risque de survenue d’un second cancer du sein primitif (niveau de preuve convaincant). Chez les patients atteints d’un cancer colorectal, l’obésité augmente également le risque de mortalité et de récidive (niveau de preuve convaincant).
De même, un poids insuffisant (IMC < 18,5 kg/m2) s’est avéré aussi être un facteur de risque de mortalité globale, de récidive et de progression pour le cancer colorectal (niveau de preuve convaincant), et de mortalité globale pour les cancers du poumon et de l’estomac (niveau de preuve probable).
Plus spécifiquement, la perte musculaire augmente les risques de mortalité chez les patients atteints de cancers de l’œsophage, du foie, de l’estomac et du pancréas et de récidives dans le cas des cancers du foie et de l’estomac (niveau de preuve probable).
Quand gagner du poids ou en perdre, et dans quelles proportions ?
Dans le cas des cancers du côlon rectum, du sein et du rein, il est donc conseillé d’éviter la prise de poids chez les patients en poids normal ou en excès de poids pendant les traitements. Il est cependant inapproprié de faire perdre du poids aux patients présentant une surcharge pondérale pendant cette période.
Après les traitements il est conseillé d’atteindre et maintenir un poids de forme, sauf exception. Ainsi, pour les personnes présentant une obésité, l’atteinte d’un IMC entre 25 et 30 kg/m2 est un objectif plus réaliste. En outre, pour les patients de plus de 70 ans, la perte de poids n’est pas appropriée, car la perte de poids augmente avec l’avancée en âge, elle se traduit par une perte de masse musculaire et est associée à une surmortalité.
Dans le cas des cancers du poumon et de l’œsophage, il est recommandé d’éviter la perte de poids. Pour ces cancers et ceux du côlon-rectum, du pancréas, de l’estomac et du foie, il est essentiel de prévenir et dépister la dénutrition et le cas échéant de la prendre en charge.
Tenir compte de l’état nutritionnel des patients durant le parcours de soin
Les résultats de cette nouvelle expertise collective s’ajoutent à ceux déjà publiés précédemment concernant les bénéfices de l’activité physique et de l’arrêt du tabac.
Ils sont importants, car ils mettent en évidence les spécificités par localisation de cancer. Ils révèlent également qu’il est essentiel d’évaluer l’état nutritionnel des patients tout au long du parcours de soin. En effet, maintenir ou atteindre (hors période de traitement) un poids de forme, tout en prévenant, dépistant, et prenant en charge, le cas échéant, la dénutrition, sont des leviers d’action essentiels dans la prévention tertiaire des cancers, tout comme la mise en place d’accompagnements nutritionnels.
Enfin, ce travail met en lumière les besoins de recherches supplémentaires sur les nombreux facteurs pour lesquels les niveaux de preuve sont insuffisants voire encore inexplorés. On constate par exemple que certaines localisations de cancer (sein, poumon, cancer colorectal) font l’objet d’une littérature scientifique plus abondante que les autres localisations.
Plus généralement, des études d’observation à grande échelle, avec une durée de suivi longue lorsque le pronostic le permet, ainsi que des essais cliniques randomisés bien menés sur certains facteurs, s’avèrent nécessaires pour faire avancer la recherche sur la prévention tertiaire des cancers, afin d’affiner les recommandations et améliorer la prise en charge.
Pour en savoir plus : La synthèse du rapport « Impact des facteurs nutritionnels pendant et après cancer » peut être commandée sur le site du réseau NACRe.
Bernard Srour, Coordonnateur du Réseau National Alimentation Cancer Recherche (réseau NACRe) - Scientist at the Divison of Cancer Epidemiology, German Cancer Research Center DKFZ, Heidelberg, Inserm et Paule Latino-Martel, Directrice de recherche honoraire. Coordinatrice du Réseau National Alimentation Cancer Recherche (réseau NACRe) de janvier 2000 à septembre 2020, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.