Dans le monde, en particulier en Afrique, les mutilations génitales féminines (appelées aussi mutilations sexuelles féminines) touchent chaque année plus de 4 millions de filles et de femmes.
Au total, dans le monde, ce sont plus de 230 millions de filles et de femmes en vie qui ont subi des mutilations génitales, selon un chiffre communiqué en 2024 par l’Unicef. En France, on estime que près de 60 000 femmes vivent excisées.

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Ces mutilations peuvent prendre la forme d’ablations – on utilise couramment le terme d’excisions – partielles ou totales du clitoris et (ou) des petites lèvres de la vulve, d’une infibulation (c’est-à-dire un rétrécissement de l’orifice vaginal) ou d’autres interventions néfastes des organes génitaux féminins à des fins non médicales, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Toutes ces mutilations sont associées à un risque accru pour la santé des femmes concernées, insiste l’OMS, et peuvent provoquer des décès.
Pourcentage des femmes ayant subi des mutations génitales en Afrique subsaharienne
Changer le regard sur les mutilations génitales féminines grâce à Internet
Malgré les campagnes internationales visant à les éradiquer, ces pratiques enracinées dans certaines cultures persistent dans de nombreuses communautés. Pourraient-elles évoluer face à une modernisation rapide, notamment grâce à la disponibilité croissante d’Internet haut débit ?
Nos travaux de recherche suggèrent qu’élargir l’accès à Internet, associé à des initiatives qui remettent en question les stigmates qui soutiennent les mutilations sexuelles féminines, pourrait devenir une stratégie puissante pour combattre ces pratiques.
Une étude menée au Nigeria
Notre étude examine le rôle de l’Internet rapide dans l’influence de la prévalence et de l’acceptation des mutilations génitales féminines au Nigeria, un pays où cette pratique reste courante parmi plusieurs grands groupes ethniques.
Pour toutes nos estimations, nous avons eu recours à la Nigerian Demographic and Health Survey, une base de données représentative au niveau national, qui comprend plus de 30 000 personnes interrogées à travers tout le Nigeria.
Prévalence des mutilations génitales chez les femmes dans chaque municipalité au Nigeria en 2018

Au Nigeria, les mutilations génitales féminines sont traditionnellement perçues comme un moyen de réduire le désir sexuel des femmes et de les dissuader d’avoir des relations sexuelles prémaritales et extraconjugales, des comportements stigmatisés dans de nombreuses communautés. Il est important de préciser que le Nigeria est un État fédéral dans lequel seuls certains États ont légiféré directement contre les mutilations génitales féminines.
Par ailleurs, en tant que nation la plus peuplée d’Afrique et premier marché de la téléphonie mobile sur le continent, avec plus de 170 millions de connexions mobiles en 2019, ce pays offre un contexte unique pour explorer comment la technologie interagit avec les pratiques culturelles.
Une baisse des mutilations et du soutien à ces pratiques, surtout en zones rurales
Cependant, l’arrivée de l’Internet haut débit dans des régions auparavant isolées expose ces communautés aux cultures mondiales et à des expressions diverses de l’identité féminine.
Nos travaux suggèrent que cette exposition contribue à déstigmatiser les comportements sexuels prémaritaux et extraconjugaux, affaiblissant ainsi les discours qui promeuvent les mutilations génitales féminines. Ce qui est, rappelons-le, la principale cause pour laquelle la mutilation génitale est pratiquée dans de nombreux pays.
Pourcentage de personnes couvertes par le réseau 3G au Nigeria par municipalité en 2018

En outre, des organisations comme l’Unicef utilisent de plus en plus les plates-formes en ligne pour mener des campagnes contre les mutilations génitales féminines, qui bénéficient d’une portée accrue grâce à l’expansion de l’accès à Internet.
Pour évaluer l’impact de l’Internet rapide, nous avons comparé les populations ayant accès à celui-ci avec celles qui n’y ont pas accès, en tirant parti du déploiement progressif des réseaux 3G au Nigeria, principal moyen d’accéder à l’Internet haut débit en Afrique subsaharienne.
Nous avons exploité des cartes de couverture 3G fondées sur des données géospatiales qui nous permettent d’identifier quels villages et quartiers du Nigeria disposent d’une connexion 3G.
En utilisant des méthodes statistiques avancées pour isoler les effets de la 3G des autres facteurs, nous avons constaté que l’accès à Internet réduit de manière significative à la fois la prévalence des mutilations génitales féminines (la réduction est de 55 % dans les zones rurales et de 30 % dans tout le Nigeria) et le soutien à cette pratique, les effets étant les plus marqués dans les zones rurales.
Quand Internet contribue à une sexualité plus libre
Pour comprendre les mécanismes derrière ces changements, nous avons analysé comment l’accès à Internet influence les comportements sexuels stigmatisés et les normes culturelles. Nos résultats montrent que l’accès à Internet est associé à une augmentation des relations sexuelles prémaritales et extraconjugales, ainsi qu’à un nombre plus élevé de partenaires sexuels au cours de la vie, en particulier chez les femmes.
Ces résultats soutiennent l’idée que l’accès à Internet entraîne un changement culturel plus large vers des comportements libéraux, rendant les mutilations génitales féminines de plus en plus obsolètes.
Nous avons également analysé l’impact des campagnes anti-mutilations génitales féminines en ligne dans le déclin observé, en nous appuyant là encore sur la base de données Nigerian Demographic and Health Survey. En particulier, nous avons examiné la campagne menée par l’Unicef en 2018 à l’occasion de la Journée internationale de la fille, le 11 octobre, l’une des campagnes anti-mutilations génitales féminines en ligne les plus importantes de cette année.
De manière surprenante, il ressort de notre analyse que la campagne a eu un impact limité sur la réduction du soutien aux mutilations génitales féminines, même si on peut considérer que l’ensemble des dispositifs de sensibilisation de la population joue un rôle.
Cette observation suggère que le déclin est principalement dû à un changement culturel plus large qui réduit la stigmatisation entourant les comportements sexuels libéraux, plutôt qu’au contenu direct de la campagne. Nous avons également écarté des facteurs tels que la croissance des revenus et la migration comme explications alternatives de l’influence de l’accès à Internet sur les mutilations génitales féminines.
Les implications de ces résultats sont importantes. Élargir l’accès à Internet, parallèlement aux initiatives qui remettent directement en question les stigmates soutenant les mutilations génitales féminines, pourrait devenir une approche efficace pour réduire cette pratique.
Cependant, l’uniformisation culturelle croissante apportée par l’exposition à Internet pourrait avoir des conséquences inattendues, que de futures recherches devront explorer davantage.
Daniel Pérez-Parra, PhD Candidate in Economics - Université Gustave Eiffel (Laboratoire Érudite) and Université de Tours (Laboratoire d'économie d'Orleans), Université Gustave Eiffel
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.