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« Cobayes humains » : pourquoi il faut mieux protéger les volontaires sains dans la recherche

Pendant la pandémie de Covid-19, de nombreux hommes et femmes de divers pays, parmi lesquels l’Inde,le Brésil ou le Royaume-Uni, se sont portés volontaires pour participer à des essais d’infection contrôlée. Lors de ces expérimentations, ces personnes en bonne santé ont accepté d’être intentionnellement exposées au SARS-CoV-2, le virus à l’origine du Covid-19, afin de comprendre comment se développe la maladie et comment elle se transmet.

Cette situation exceptionnelle a soulevé de nombreuses questions éthiques, non anticipées par les différents textes internationaux qui encadrent la recherche biomédicale. Dans l’urgence, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a mobilisé des experts qui ont émis plusieurs recommandations pour l’acceptabilité éthique des essais d’infection contrôlée portant sur le virus du Covid-19 chez des volontaires sains.

En France, le comité d’éthique de l’Inserm (Institut national français de la santé et de la recherche médicale) s’est aussi emparé de la question. Après une première étape ayant notamment consisté à analyser les raisons pour lesquelles les volontaires sains participent à des recherches parfois à risques, une initiative baptisée VolREthics (« Volunteers in Research and Ethics », ou Volontaires en recherche et éthique) a été mise en place.

Les travaux des experts impliqués dans ce consortium international ont abouti à la rédaction d’une charte visant à promouvoir les bonnes pratiques protégeant les volontaires sains dans la recherche biomédicale, à l’échelle mondiale.

Ce document est important, car, au-delà du cas très particulier de la pandémie, chaque année, des dizaines de milliers de volontaires sains sont exposés à d’autres types de risques liés à leur participation à diverses études. Voici ce qu’il faut en savoir.

Des volontaires sains insuffisamment encadrés

Menées sous haute surveillance, les essais impliquant des volontaires sains permettent de collecter des informations indispensables à la mise au point de médicaments avant qu’ils ne soient testés chez des patients, ou de vaccins avant qu’ils ne soient administrés plus largement aux personnes à protéger.

Si ce type de travaux fait l’objet d’une prudence particulière de la part de la plupart des autorités réglementaires, et que la survenue de problèmes demeure très exceptionnelle, les risques d’accident graves ne sont pas nuls. En France, le cas le plus dramatique concerne l’essai mené en janvier 2016 en Bretagne par la société Bial, destiné à tester une molécule censée soulager douleur et anxiété : l’un des six volontaires sains est décédé.

Pour cette raison, il est indispensable de fournir des conseils pertinents et exhaustifs à tous les acteurs concernés : non seulement aux volontaires sains eux-mêmes, mais aussi investigateurs des essais cliniques, ainsi qu’aux membres des structures d’évaluation réglementaire ou éthique.

Il existe bien des textes de principes éthiques, tels que la « Déclaration d’Helsinki », publiée par l’Association Médicale Mondiale, ou les « Directives éthiques internationales pour la recherche en santé impliquant des êtres humains », publiées par le Conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS), mais tous s’intéressent principalement aux recherches sur les patients. Ils n’abordent pas la situation particulière des recherches sur des volontaires sains.

Afin de combler cette lacune, en 2019, un groupe de travail du comité d’éthique de l’Inserm a initié une réflexion sur ces participants très particuliers afin de mieux cerner leurs motivations et d’identifier les risques auxquels ils peuvent être exposés dans diverses régions du monde.

À partir de ces travaux, en février 2022, un panel international coordonné par le comité d’éthique de l’Inserm a lancé l’initiative VolREthics, qui vise à promouvoir les bonnes pratiques pour protéger les volontaires sains dans la recherche biomédicale, à l’échelle mondiale.

Pour y parvenir, plusieurs réunions régionales ont été organisées par divers partenaires d’Asie, d’Afrique, d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud. Ces échanges ont aidé à mieux cerner les différentes approches choisies par les pays qui mènent des essais ou les attentes de ceux qui souhaiteraient les développer.

Qui sont les volontaires sains, et pourquoi s’impliquent-ils ?

Ces échanges nous ont permis d’observer que la grande majorité des volontaires sains participent à ces études pour obtenir une compensation financière, mais parfois pour obtenir de meilleurs soins de santé, ou un accès à un vaccin expérimental par exemple comme ce fut le cas pendant la pandémie de Covid-19.

Les témoignages de volontaires sains les plus marquants collectés par VolREthics provenaient des États-Unis. Ils décrivent des personnes souvent jeunes, pauvres et sans emploi stable recherchant les études les plus rémunératrices, quitte à voyager sur de longues distances. Pour eux, la participation à des essais cliniques est une façon simple de gagner de l’argent, au même titre que d’autres « petits boulots », pour peu que l’on en maîtrise les codes.

Certains volontaires sains, non seulement aux États-Unis, mais aussi en Inde, ont déclaré avoir participé à de nombreux essais et être devenus experts dans les réponses à donner lors des tests de sélection. Dans ces deux pays comme ailleurs dans le monde, de puissantes sociétés commerciales (« Contract Research Organisations ») se sont développées pour permettre le recrutement rapide de dizaines voire de centaines de volontaires sains pour optimiser le temps de mise au point de nouveaux médicaments et vaccins.

La France en avance sur l’encadrement des volontaires sains

L’un des principaux enseignements de ces travaux est que peu de pays ont développé une politique spécifique destinée à réglementer la recherche avec les volontaires sains. La France fait figure d’exception : en 1988, la loi Huriet-Sérusclat définissait le cadre d’une réglementation spécifique. Celle-ci a notamment résulté en la mise en place d’un fichier national dès les années 1990.

Cette base de données, nommée VRB, est maintenue par la Direction générale de la santé. Elle permet de limiter le risque qu’un volontaire sain ne « sur-participe », en s’engageant dans plusieurs essais successifs sans tenir compte des délais de sécurité. Une pratique qui peut non seulement mettre en danger la personne qui s’y livre, mais aussi compromettre la validité des recherches dans lesquelles elle est impliquée…

L’inscription des volontaires sains participant à une recherche en France est obligatoire et seuls les investigateurs, responsables de la recherche, sont habilités à inscrire les volontaires dans ce fichier. Quand un investigateur décide d’initier une étude sur volontaires sains, il doit obligatoirement consulter la base de données pour s’assurer que les volontaires sains à recruter ne sont pas déjà inclus dans une étude clinique et n’ont pas dépassé le plafond d’indemnisation fixé à 6 000€ par an. Tout manquement à cette procédure sera donc automatiquement tracé.

Il est à noter que les Comités de protection des personnes (CPP), instances éthiques indépendantes évaluant les essais cliniques conduits en France, donnent leur avis sur le montant des indemnités allouées aux volontaires sains par les promoteurs des études. Cela permet d’éviter soit une trop grande attractivité (qui pousserait à l’acceptation de participer à une étude), soit une trop faible indemnisation en rapport à l’implication des volontaires sains dans l’étude proposée.

Seuls deux autres pays, le Royaume-Uni et la Malaisie ont également mis en place ce même type de registre national. En Asie, continent où sont conduites de très nombreuses études avec des volontaires sains, la Malaisie se distingue ainsi ent tant que pays pionnier, cherchant à assurer la meilleure qualité scientifique et éthique de la recherche, dans un marché très concurrentiel.

Accord sur une charte éthique internationale

Au sein de l’initiative VolREthics, un consensus s’est dégagé sur le fait que l’objectif principal devrait être de faire reconnaître les volontaires sains comme un groupe à part parmi les participants à la recherche au niveau mondial. Il s’agit en effet d’une population potentiellement vulnérable, qui devrait bénéficier de protections spécifiques.

Il existe en effet des différences fondamentales entre les patients qui participent à la recherche et les volontaires sains. Deux aspects, en particulier, distinguent ces derniers : les volontaires sains qui participent à des recherches ne peuvent pas en tirer un bénéfice direct pour leur santé, mais en outre, leur principale motivation est la perspective d’une compensation financière, ce qui peut les exposer à un risque d’exploitation lorsqu’ils se trouvent dans une situation de vulnérabilité économique.

Il a de ce fait été convenu qu’une Charte éthique internationale devrait être établie, avec pour objectif essentiel de proposer à l’ensemble des acteurs de ce type de recherches des recommandations pour des pratiques plus éthiques. Un processus public de consultation internationale a été lancé autour d’une première version de Charte éthique, et une version amendée a été discutée en avril 2024.

Après une ultime validation par un panel international de volontaires sains, cette Charte, qui se veut être un cadre de recommandations non figées, a été finalisée. Elle peut désormais circuler, pour que chaque pays se l’approprie et l’utilise en fonction de ses propres contraintes, qu’elles soient réglementaires ou socioculturelles.

Son adoption au niveau international permettrait d’offrir, partout dans le monde, des niveaux de protection similaires. Elle favoriserait surtout la prise de conscience des particularités des volontaires sains qui contribuent à la recherche biomédicale, actuellement ignorées dans la majorité des pays de la planète. À la demande de nombreux partenaires, les discussions sur l’adaptation de la Charte éthique au contexte de la recherche dans chaque pays vont se poursuivre.

Cette Charte pourrait encourager les volontaires sains à s’organiser en associations pour faire porter leur voix, de la même façon que de nombreuses catégories de patients se sont organisées pour peser sur les décisions qui les concernent. Au delà des volontaires sains impliqués dans des recherches de médicaments ou de vaccins, ce travail pourrait aussi favoriser la mise en place de bonnes pratiques pour mieux protéger les personnes « non malades » qui sont impliquées dans des projets de recherche variés, partout dans le monde.

François Hirsch, Membre du comité d'éthique de l'Inserm, Inserm et François Bompart, Médecin, Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi), membre du comité d'éthique de l'Inserm, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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