Depuis 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’Assurance maladie ont lancé des alertes au sujet du risque de mésusage avec le médicament antidiabétique Ozempic (le nom de la molécule est le sémaglutide), ce qui a conduit à une surveillance renforcée des prescriptions.
Il est vrai que le sémaglutide a été plébiscité en un usage détourné de son indication et hors prescription médicale pour faire perdre du poids, notamment via le réseau social TikTok.
Depuis octobre 2024, cette même molécule est mise à disposition à plus forte dose, cette fois avec une indication de traitement l’obésité, sous le nom de marque Wegovy. Qu’en est-il aujourd’hui du risque de mésusage ? On fait le point.
Une molécule qui agit sur la glycémie et l’appétit
Le sémaglutide est un agent de la classe des analogues du GLP-1 (pour glucagon-like peptide 1). Cette classe de médicaments est ancienne : elle a vu le jour en France en 2008 ; le sémaglutide, lui, est apparu en 2018.
Cette classe de médicaments porte ce nom car ces molécules reproduisent l’action d’une hormone appelée GLP-1 qui régule le taux de glucose dans le sang (ou glycémie) ainsi que l’appétit et la satiété, des fonctions qui sont altérées dans le diabète de type 2. Les analogues du GLP-1 sont doués d’un effet antidiabétique très puissant, en particulier le sémaglutide.
Une efficacité et des effets indésirables dose-dépendants
Ozempic est administré par auto-injection hebdomadaire à l’aide de seringues préremplies. Mais sa prise peut être associée à une intolérance gastro-intestinale. Pour limiter cet effet indésirable, l’administration doit se faire à des doses progressives.
Chez les personnes traitées avec des médicaments de la famille des analogues du GLP-1, on observe généralement une réduction de poids (même s’il y a des non-répondeurs) qui est dépendante de la dose. Cette perte de poids passe surtout par une régulation de l’appétit, sans que ces spécialités pharmaceutiques puissent pour autant être qualifiées de « coupe-faims ».
En outre, si les anciens médicaments anorexigènes ont pu provoquer des accidents cardiaques (et ont été interdits pour cette raison), les analogues du GLP-1 offrent, à l’inverse, une protection cardiovasculaire. Cette protection se révèle précieuse car, chez les personnes qui souffrent de diabète et d’obésité, c’est le risque cardiovasculaire qui est accru et qui engage le plus souvent le pronostic vital.
Depuis 2018, un dosage à 1 mg dans le diabète avec Ozempic
Avec Ozempic, le sémaglutide est utilisé à la dose de 1 mg pour le traitement du diabète de type 2 (obtenue après deux paliers intermédiaires d’augmentation des doses : 0,25 puis 0,5 et enfin 1 mg). Ce médicament bénéficie d’un remboursement par l’Assurance maladie.
C’est dans ce diabète qu’une protection cardiovasculaire importante a d’abord été montrée (avec une protection rénale aussi, mais dans une moindre mesure). C’est dire que ce traitement est prescrit pour le long cours en raison de son efficacité, de sa sécurité donc et également de la perte de poids de surcroît qu’il occasionne, de l’ordre de 5 à 10 % en moyenne.
En 2024, un dosage à 2,4 mg dans l’obésité avec Wegovy
À la dose cette fois de 2,4 mg (obtenue après une augmentation des doses en 4 paliers : 0,25 ; 0,5 ; 1 ; 1,7 et enfin 2,4 mg), chez des sujets en obésité sans diabète, il a été montré une perte de poids moyenne d’un peu plus de 15 % au terme de 68 semaines de traitement (programme STEP). Une protection cardiovasculaire a par ailleurs été mise en évidence chez des sujets également en situation d’obésité avec des antécédents de maladies cardiovasculaires (étude SELECT).
Le Wegovy a d’abord été mis à disposition à cette dose en France dans le cadre d’une procédure strictement contrôlée dite d’accès précoce. Cette procédure avait été menée dans l’attente de sa commercialisation, et ce de façon restrictive : dans l’obésité la plus sévère (avec un indice de masse corporelle ≥ 40 kg/m2) et avec une ou plusieurs complications.
Depuis le 8 octobre 2024, Wegovy est vendu sur prescription médicale, à un prix fixé librement par le fabricant, sans remboursement par l’Assurance maladie, et cette fois avec une indication plus large que l’obésité la plus sévère.
Le fabricant mentionne une indication dès l’obésité de grade 1 (à partir d’un IMC de 30 kg/m2) et même dans le surpoids (avec un IMC entre 27 et 30 kg/m2) mais en présence d’au moins un facteur de comorbidité lié au poids (dysglycémie c’est-à-dire une glycémie non équilibrée, dyslipidémie, hypertension artérielle, maladie cardiovasculaire ou syndrome d’apnée obstructive du sommeil).
Pourquoi rembourser Ozempic et non Wegovy ?
Si l’antidiabétique Ozempic est remboursé et non l’anti-obésité Wegovy, c’est parce que le diabète de type 2 est une maladie plus grave que l’obésité (on parle de « morbi-mortalité élevée).
Dans le diabète de type 2, on doit impérativement réduire la glycémie élevée, dangereuse pour les yeux, les reins, et les nerfs, ainsi que le risque cardiovasculaire. Or, si la protection cardiovasculaire conférée par le sémaglutide est clairement démontrée dans le diabète — ce qui justifie le remboursement de l’antidiabétique Ozempic—, elle ne l’est pour l’heure dans l’obésité qu’en cas d’antécédents vasculaires. Des discussions pour un remboursement de Wegovy dans les situations d’obésité avec antécédents vasculaires sont d’ailleurs en cours…
La problématique du détournement d’usage
Le fabricant a signalé à la fin 2022 des difficultés d’approvisionnement en Ozempic pour les patients diabétiques en raison d’un détournement d’usage. L’agence du médicament de son côté, en lien avec l’Assurance maladie, mettait en place une vigilance tout en relativisant les choses. En effet, la proportion de personnes non diabétiques bénéficiaires d’Ozempic a été estimée à environ 1 % fin 2022, avec une réévaluation à 1,4 % en fin mai 2023.
Un pourcentage aussi faible n’étant pas de nature à expliquer les difficultés d’approvisionnement en France, il conviendrait plutôt d’invoquer l’engouement pour la molécule relayé par les réseaux sociaux, notamment dans une Asie fortement peuplée et où l’incidence de l’obésité et de diabète suit le cours d’un développement rapide.
Ces éléments d’épidémiologie conduisent à s’interroger, s’agissant de la tension d’approvisionnement, entre la part liée à l’accroissement de la demande pour le diabète (auquel cas il n’y aurait pas de mésusage) et celle d’un traitement réellement détourné pour maigrir hors de tout contrôle médical.
L’agence du médicament et l’encadrement des analogues du GLP1
Dans la foulée de la commercialisation de Wegovy, l’agence du médicament s’est positionnée avec les préconisations suivantes :
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Ozempic ne doit être prescrit que dans le diabète de type 2 insuffisamment contrôlé ;
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La prescription initiale de Wegovy indiqué contre l’obésité est réservée aux spécialistes en endocrinologie-diabétologie-nutrition, les médecins généralistes, eux, ne peuvent que renouveler la prescription ;
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La prescription de Wegovy doit se faire conformément au parcours de soin élaboré par la Haute autorité de santé (HAS), à savoir : « Patients adultes ayant un IMC initial ≥ 35 kg/m2 et âgés ≤ 65 ans en cas d’échec de la prise en charge nutritionnelle bien conduite et en association à un régime hypocalorique et à une activité physique ».
Quels risques concrets liés aux mésusages de cette classe de médicaments ?
- À l’échelle de l’individu :
Nous disposons d’un long recul pour juger des effets secondaires des analogues de GLP1. Les plus fréquents sont plus gênants que graves. Il s’agit de l’inconfort gastro-intestinal que nous avons déjà évoqué et un d’effet sur l’appétit d’intensité variable, de nul à assez marqué.
Cette réduction d’appétit, si elle est notée, serait bienvenue pour réduire un apport énergétique excessif, sauf si on observe une privation marquée d’aliments chez un sujet vulnérable. Il convient donc de s’assurer que la perte de poids ne se produit pas aussi aux dépens de la masse musculaire.
L’agence du médicament évoque également parmi les effets indésirables potentiellement graves graves des hypoglycémies (ou chutes de la glycémie). Cet effet hypoglycémiant est observé quand la prise d’Ozempic vient renforcer l’action de médicaments qui ont déjà cet effet (comme une insuline ou un sulfamide). Concernant d’autres événements plus sérieux qui ont été signalés (pancréatites, cancer particulier de la thyroïde et trouble de la conduction cardiaque), leur imputabilité aux analogues de GLP-1 reste très discutable.
- En santé publique :
Le risque ici est celui d’un mésusage dont l’ampleur limiterait l’accès à Ozempic pour des sujets diabétiques, surtout si des pratiques se développaient pour « forcer la dose » afin d’accroître l’effet sur le poids. Certes, il existe plusieurs autres classes d’antidiabétiques. Mais le sémaglutide est le plus puissant au sein de la classe la plus puissante et on manque parfois de possibilité de remplacement quand le traitement est déjà à son maximum.
Pour rappel, le sémaglutide réduit à la fois la glycémie et le poids. Quand cette molécule n’était disponible que pour le diabète (avec Ozempic), le risque était grand qu’elle soit détournée pour perdre du poids. Maintenant qu’elle est disponible aussi dans l’obésité (avec Wegovy), on peut escompter que le risque de mésusage — pour perdre du poids — soit moindre, et ce d’autant plus que les indications de Wegovy sont désormais plus larges que lorsque ce médicament n’était disponible que dans le cadre de son accès précoce.
D’un autre côté, le « timing » de commercialisation de Wegovy est quand même singulier au regard des tensions d’approvisionnement évoquées concernant la famille des analogues du GLP-1, même si elles sont en cours de résolution.
De plus, la quantité de Wegovy rendue disponible par le fabricant (Novo Nordisk) n’est pas connue. Enfin, l’accès au traitement sera forcément limité en raison de son coût élevé, évalué aux alentours de 300 € par mois, sans remboursement par l’Assurance maladie.
Quid de l’aide pour modifier son mode de vie ?
Il convient de soulever ici un paradoxe : l’agence du médicament ANSM est une agence nationale qui recommande de modifier d’abord le mode de vie dans l’obésité. Mais l’État, lui, ne rembourse pas les mesures qui permettent cette modification, à savoir les consultations de diététique et les séances d’activité physique adaptée (APA), et il valorise bien mal la consultation de psychologie et l’activité d’éducation thérapeutique.
Dans le même temps, des négociations sont en cours pour obtenir le remboursement du Wegovy…
Aussi osons-nous dire que les carences de l’État, s’agissant des mesures de prévention de l’obésité ou de ses complications, sont en soi un facteur de mésusage.
Jean-Daniel Lalau, Professeur de nutrition, PériTox, UMR_I 01, Université de Picardie Jules Verne, et service d’endocrinologie-diabétologie-nutrition, CHU d’Amiens, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.