Chaque année, du 18 au 24 novembre l’Organisation mondiale de la Santé organise la Semaine mondiale pour un bon usage des antimicrobiens, afin de mieux faire connaître et comprendre la résistance aux antibiotiques. Un enjeu d’importance, car l’antibiorésistance est l’une des 10 principales menaces pour la santé publique. Un risque qui varie fortement non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi d’une région à l’autre au sein d’un même pays
L’antibiorésistance, ou résistance des bactéries aux antibiotiques, nous concerne tous, partout sur la planète. Chacun d’entre nous peut en effet être atteint d’une infection à bactéries résistantes aux antibiotiques qui pourrait gravement menacer notre santé, même si l’on prend soi-même peu ou pas d’antibiotiques.
Cette situation est encore aggravée par la mondialisation des échanges commerciaux et du tourisme de masse, qui accroît les risques de circulation des bactéries résistantes.
Toutefois, selon l’endroit où nous vivons, nous ne sommes pas tous touchés au même titre par cette menace. En effet, les pratiques de soin et l’organisation des systèmes de santé étant différentes d’un état à l’autre, l’utilisation des antibiotiques varie grandement, tout comme les niveaux d’antibiorésistance.
Par ailleurs, l’utilisation des antibiotiques et les niveaux d’antibiorésistance varient également beaucoup au sein d’un même pays, comme le montre notamment l’exemple français.
Des situations différentes selon les pays
Sur le site Internet de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), plusieurs bases de données renseignent sur le niveau international d’utilisation des antibiotiques, ainsi que sur celui de l’antibiorésistance, ou encore sur le niveau de déploiement des mesures de lutte contre l’antibiorésistance (rapporté par les autorités sanitaires de chaque pays).
Une étude internationale récente a aussi estimé le nombre de décès attribuables à l’antibiorésistance au niveau mondial, sur la période 1990-2021, avec des projections allant jusqu’en 2050.
Dans l’Union européenne, l’agence ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control) met elle aussi à disposition des données d’antibiorésistance ou de consommation d’antibiotiques.
En consultant ces bases de données, on constate qu’en 2022, les consommations totales d’antibiotiques variaient fortement d’un pays à l’autre, la différence pouvant atteindre un facteur 4 en Europe et 10 dans le monde. La France se situe au-dessus de la médiane mondiale et arrive au 5e rang des pays les plus consommateurs d’antibiotiques en Europe, derrière la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et l’Espagne.
Quant aux niveaux d’antibiorésistance, ils varient également selon les pays, mais différemment selon le type de résistance et l’espèce bactérienne concernés ; les pays à bas ou moyens revenus sont néanmoins souvent les plus touchés. En Europe, ce sont souvent les pays du Sud et de l’Est qui ont les niveaux d’antibiorésistance les plus élevés, la France étant globalement dans la moyenne.
L’utilisation des antibiotiques, et donc la résistance des bactéries aux antibiotiques, sont influencées par de multiples facteurs, ce qui explique que ces données varient dans le temps et l’espace, tout comme, donc, la probabilité d’être contaminé par une bactérie résistante.
On sait par exemple qu’il existe un risque non négligeable de revenir porteur de bactéries résistantes au retour d’un voyage, notamment dans son tube digestif.
Tous périples confondus, ce risque concerne environ un voyageur sur trois, et dépend de trois facteurs principaux : le lieu de séjour, le fait d’avoir récemment pris des antibiotiques (ce qui sélectionne des bactéries résistantes dans le microbiote, notamment digestif), ou d’avoir eu la diarrhée lors du voyage (parce que la diarrhée était due à une bactérie résistante, ou parce que la diarrhée, quelle que soit sa cause, a déséquilibré le microbiote et ainsi favorisé la persistance dans le tube digestif de bactéries résistantes acquises par voie alimentaire).
D’importantes variations géographiques au sein des pays
Si les niveaux d’antibiorésistance varient d’un pays à l’autre, ils sont également hétérogènes à l’intérieur des pays eux-mêmes, d’une région, voire d’un département à l’autre.
En France, les consommations d’antibiotiques ou les données d’antibiorésistance sont disponibles sur le site GEODES de Santé publique France (lequel donne également accès à de nombreuses autres données de santé).
Si l’on s’intéresse à la distribution régionale des bactéries Escherichia coli très résistantes aux antibiotiques (espèce bactérienne la plus fréquemment responsable d’infections urinaires), on constate que certaines zones comme le sud-est du pays ou la région parisienne sont davantage concernés.
Les données de GEODES révèlent aussi d’importantes variations géographiques pour les autres bactéries, comme les infections hospitalières à Staphylococcus aureus (le staphylocoque doré) résistants à la méticilline, qui touchent moins l’Outremer ou les Pays de la Loire, ou pour les consommations d’antibiotiques, qui peuvent varier du simple au double en ville selon la région.
De très nombreux facteurs peuvent expliquer ces variations, par exemple les habitudes des professionnels de santé ou des patients, les actions régionales et locales menées pour améliorer les pratiques, ou l’incidence des infections, qui peut varier en fonction de l’état de santé de la population, qui dépend lui-même de paramètres variés : âge, accès à l’emploi et type d’emploi, niveau d’éducation, de revenus…
Mieux comprendre les usages des antibiotiques
Les études consacrées aux facteurs qui influencent les niveaux d’antibiorésistance ou aux usages des antibiotiques sont encore trop peu fréquentes en France. Les données de prescription des antibiotiques par les professionnels de santé sont cependant parfois étudiées pour explorer le caractère approprié des pratiques.
Citons à titre d’exemple une étude menée dans le Grand Est, sur les facteurs associés aux pratiques de prescription d’antibiotiques par les médecins généralistes. Celle-ci a mis en évidence des pratiques moins bonnes que la moyenne dans certains départements, chez les hommes médecins, ou chez les médecins les plus âgés, ainsi que chez ceux qui s’occupaient de beaucoup de patients ou effectuaient un nombre élevé de consultations, dont la patientèle était plus âgée, ou qui prescrivaient plus de médicaments que la moyenne.
La connaissance de ces facteurs permet de mieux adapter les politiques de santé publique et de mieux cibler la communication. La DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère en charge de la Santé) a ainsi mis en ligne un site permettant d’estimer la pertinence des antibiotiques prescrits en médecine générale.
L’évolution depuis 2013 montre une stabilité pour environ la moitié des indicateurs et une tendance à l’amélioration pour les autres. Il reste cependant encore une marge d’amélioration importante, variable là aussi d’un département à l’autre, notamment pour moins utiliser les antibiotiques, éviter les durées de traitement trop prolongées et privilégier l’utilisation des antibiotiques les moins générateurs d’antibiorésistances.
Implications concrètes et perspectives
Les variations géographiques constatées en France soulignent tout d’abord la nécessité de décliner les politiques publiques de façon spécifique, au niveau territorial. Elles rappellent aussi l’importance de disposer de données facilement accessibles à des échelles géographiques variées.
Un point à améliorer concerne la lisibilité des très nombreuses données actuellement disponibles, dont la compréhension par les non-spécialistes peut être difficile. Il serait utile de présenter les résultats de manière plus synthétique et facile à comprendre pour tout un chacun, afin d’engager davantage les citoyens dans la lutte contre l’antibiorésistance.
Une des pistes pourrait être de présenter les données d’antibiorésistance de manière synthétique et compréhensible pour les non-experts, à l’aide d’un ou deux chiffres clés, comme le nombre annuel de décès dus à l’antibiorésistance, ou la proportion d’infections bactériennes résistantes ou sensibles à tous les antibiotiques disponibles. Un « CAC 40 de l’antibiorésistance » en quelque sorte, avec une présentation des résultats facile à comprendre que l’est le Nutri-score pour les aliments…
La stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance en santé humaine fait la part belle à ces questions.
Quelques règles pour lutter contre l’antibiorésistance
Pour terminer, rappelons quelques règles essentielles, que nous pouvons tous mettre en œuvre pour lutter contre l’antibiorésistance.
La première est d’accorder une grande importance à la prévention des infections et à la réduction de leur transmission. Pour cela, les mesures d’hygiène sont primordiales : lavage des mains au savon ou friction avec du gel hydroalcoolique, tout comme le recours à la vaccination.
La seconde règle est de n’utiliser les antibiotiques que lorsque nécessaire et comme il faut, autrement dit en respectant les prescriptions médicales et en suivant le traitement correctement. En effet, même une seule prise d’antibiotique sélectionne des bactéries résistantes dans nos microbiotes, dans la flore intestinale par exemple.
Enfin, soulignons que si les exemples donnés dans cet article concernent la santé humaine, des variations comparables sont observées chez les animaux et dans l’environnement. Lutter efficacement contre l’antibiorésistance nécessite donc d’adopter une perspective dite « Une seule santé » (« One Health » en anglais), qui tient compte de l’interconnexion entre santé des humains, santé des animaux et santé des écosystèmes dans lesquels ils évoluent.
Pour aller plus loin :
- La rubrique consacrée aux antibiotiques sur le site du service public d’information en santé.
Céline Pulcini est l’auteur du roman « Dans le tourbillon de la médecine », qui aborde notamment le sujet des études de médecine, de la prévention des infections et de l’antibiorésistance.
Céline Pulcini, Professeur de médecine, infectiologue, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.