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L’anxiété, une émotion normale, jusqu’à quel point ?

L’anxiété est une réaction qui facilite notre adaptation à une situation nouvelle. Mais lorsqu’elle est trop intense, elle devient paralysante. Plusieurs signes permettent d’en évaluer le niveau.

Dominique Servant : Psychiatre, responsable de l’unité stress et anxiété du CHRU de Lille, directeur d'enseignement, Université Lille Nord-Europe (ULNE)

Crédit photos : Nick Karvounis/Unsplash


Notre auteur, psychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Lille, consulte et enseigne sur le traitement de l’anxiété depuis 25 ans. Dans Se libérer de l’anxiété et des phobies en 100 questions (éditions Tallandier), l’ouvrage dont nous publions ci-dessous un extrait, Dominique Servant distingue l’anxiété normale, éprouvée par tous, de celle qui fait souffrir et qu’il faut soulager.

L'anxiété est un phénomène normal. Mais chez certaines personnes, elle devient permanente et doit être soulagée.

Nous ressentons tous une anxiété face aux incertitudes de l’existence. Nous avons peur de tomber malade, de perdre des êtres chers. Cette émotion est normale, et l’on peut considérer qu’elle joue un certain rôle dans notre capacité à nous adapter à ce qui nous arrive.

Mais pour beaucoup d’entre nous, l’anxiété n’est plus raisonnable, elle n’obéit plus à la logique, elle devient envahissante et nous rend vulnérables. Il nous est alors difficile de trouver le sommeil, de nous concentrer. Notre esprit s’accroche à des pensées que nous n’arrivons pas à mettre à distance. L’anxiété se dresse devant nous sans prévenir, et tout d’un coup la panique s’abat sur nous.

Nos proches ne comprennent pas toujours cette souffrance qui ne relève pas d’une anomalie observable ou d’un problème concret. Mais l’anxiété est bien là et nous gâche la vie.

Quand l’anxiété devient maladive

Chez certaines personnes, dans certaines situations et à certains moments de la vie, l’anxiété devient maladive. Quatre conditions doivent être réunies pour qu’elle puisse être qualifiée ainsi :

  • Quand elle est disproportionnée et survient en lien avec des choses qui ne sont pas dangereuses en elles-mêmes. Elle revêt alors un caractère irrationnel, illogique qui s’oppose au bon sens. Nous sommes conscients qu’il n’y a rien de grave mais nous ne pouvons nous raisonner.

  • Quand elle est trop intense. Au lieu de nous aider à mieux nous adapter à la situation, l’anxiété devient improductive et inutile. Lorsque le seuil d’une anxiété modérée est dépassé, l’anxiété forte entrave ce que nous sommes en train de faire et nous la ressentons comme une vraie souffrance.

  • Quand elle se prolonge. L’anxiété peut devenir permanente et envahissante. Elle empêche alors de vivre normalement et ne laisse plus de répit. Nous avons l’impression qu’elle ne s’arrêtera jamais, de ne pas voir la fin du tunnel.

  • Quand elle devient incontrôlable. Quand nous ne pouvons la maîtriser, nous ressentons de l’impuissance, parfois même de la colère contre nous mêmes. Nous nous en voulons de ne pas pouvoir agir.

Quand l’anxiété devient incontrôlable, nous ressentons de l’impuissance, parfois même de la colère contre nous-mêmes. Ali Yahya/Unsplash

Une personne sur cinq est touchée

Ainsi, on distingue les troubles anxieux de l’anxiété normale par la présence de plusieurs symptômes intenses, durables, qui entraînent un vrai mal-être et une gêne dans la vie de tous les jours, dans le travail ou les loisirs. Ces troubles touchent environ une personne sur cinq. Il en existe de plusieurs sortes.

Le trouble panique : il est défini par la répétition d’attaques de panique (crises aiguës d’angoisse), dont certaines sont imprévisibles, entraînant une gêne quotidienne et une anxiété anticipatoire (« peur d’avoir peur ») quasi permanente.

Les phobies : elles sont toutes caractérisées par une peur intense, et perçue comme excessive, d’objets ou de situations non réellement dangereux. Toute confrontation (réelle ou en imagination) avec l’objet ou la situation en cause provoque une anxiété qui peut être majeure, allant jusqu’à l’attaque de panique. Néanmoins l’angoisse est absente dès que le sujet se sent « à l’abri ».

Deux formes de phobies sont distinguées :

  • les phobies spécifiques qui concernent un seul type d’objet ou de situation simple (animaux, sang, avion, etc.),

  • l’agoraphobie, définie par une peur et un évitement de situations où la personne aura du mal à s’échapper ou à trouver du secours comme la foule, les grands magasins, les salles de concert, les transports en commun.

La foule peut déclencher une grande anxiété chez les personnes touchées par l’agoraphobie. Jason Wong/Unsplash

La peur du regard et du jugement de l’autre

Les phobies sociales (que l’on appelle aussi trouble d’anxiété sociale) : elles sont caractérisées par une peur intense du regard et du jugement de l’autre. Le sujet redoute des activités quotidiennes comme parler ou agir en public. Les phobies sociales correspondent à un authentique trouble anxieux qui ne saurait être confondu avec une simple timidité.

Le trouble anxieux généralisé : il correspond à une inquiétude quasi permanente et durable (d’au moins six mois), concernant divers motifs de la vie quotidienne (risque d’accidents ou de maladies pour les proches ou soi-même, anticipation de problèmes financiers ou professionnels, etc.), sans possibilité de se « raisonner » et de contrôler ces ruminations. Celles-ci engendrent un état de tension permanent, physique et psychique.

L’anxiété, sous les différentes formes citées plus haut, est le problème psychologique le plus fréquent. Des études faites sur de très grands échantillons à travers le monde montrent qu’environ 15 à 20 % des personnes interrogées ont présenté à un moment de leur vie un trouble anxieux, selon une étude publiée en 2005.

La proportion, en France, dépasse cette fourchette pour atteindre 22,4 %, un niveau plus élevé que dans les autres pays européens comme le montre l’étude épidémiologique ESEMed/MHEDEA publiée en 2005. Les phobies spécifiques sont les plus fréquentes (11,6 %) suivies par l’anxiété généralisée (6 %), les phobies sociales (4,7 %), le trouble panique (3 %) et l’agoraphobie (1,8 %).

Plus de femmes que d’hommes touchés

Les études ont montré que les troubles débutaient chez l’adulte jeune (de 18 à 35 ans) et parfois même chez l’enfant (anxiété de séparation, phobie sociale…). Après une période de stabilisation au milieu de la vie, on note un nouveau pic à partir de 65 ans. Toutes les études montrent que les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes. Cette particularité n’a pas d’explication unique et plusieurs hypothèses ont été avancées comme des particularités biologiques et hormonales, des facteurs sociologiques (le rôle social des femmes) ou psychologiques (sensibilité).

Les troubles anxieux touchent toutes les catégories sociales et toutes les origines. L’anxiété semble plus fréquente dans les villes, comparativement à la campagne. On attribue cela au stress des villes liés à l’urbanisation. La pollution également pourrait jouer un rôle sur le système neurobiologique de l’anxiété.

Pourquoi sommes-nous anxieux ? L’anxiété a longtemps été attribuée à une nature faible et émotive ou à un manque de volonté, avant qu’elle soit reconnue comme relevant de causes à la fois médicales et psychologiques qui restent à préciser.

L’exagération d’un fonctionnement biologique normal ?

Concernant la biologie, les chercheurs n’ont pas trouvé d’anomalie. Les chercheurs pensent plutôt à l’exagération d’un fonctionnement biologique normal. Aucun gène codant pour un neuromédiateur ou un enzyme impliqué dans la biologie de l’anxiété n’a été retrouvé.

Les nouvelles méthodes d’exploration du corps et du cerveau comme l’imagerie cérébrale (scanner, IRM), la neurobiologie et la génétique montrent des perturbations dans l’anxiété. Les structures du cerveau impliquées dans la réaction de peur seraient, dans l’anxiété, sensibilisées, comme montré dans cette étude publiée en 2016.

L’intervention sur les facteurs de stress et leurs conséquences psychologiques reste donc la meilleure façon de prévenir, pour les personnes qui possèdent une vulnérabilité génétique, la survenue ou l’évolution d’un trouble anxieux.

Nous savons bien que l’anxiété ne peut s’expliquer uniquement par la biologie et l’hérédité. Il y a aussi des causes psychologiques comme les évènements de l’enfance, l’éducation et le vécu qui ont forgé notre personnalité. L’anxiété est une émotion fondamentale, nécessaire au développement de l’enfant, à la construction de sa personnalité et à son adaptation au monde et à ses dangers.

On peut apprendre à accepter l’anxiété pour qu’elle ne soit plus un obstacle dans notre vie. Ian Espinosa/Unsplash

Accepter l’anxiété, pour qu’elle ne soit plus un obstacle dans notre vie

L’anxiété ne se soigne pas seulement, elle se maîtrise : on apprend à l’accepter pour qu’elle ne soit plus un obstacle dans notre vie. On peut agir sur sa propre anxiété. Quand on a une nature anxieuse, on ne va pas en changer mais peu à peu, on va réagir totalement différemment dans des circonstances dans lesquelles, auparavant, on alimentait la mécanique anxieuse. Avec le temps, on comprend mieux ses propres réactions.

Lorsque l’anxiété est plus forte et plus résistante, on pourra avoir recours à des traitements. Les médicaments anxiolytiques soulagent transitoirement l’anxiété mais exposent à la dépendance. Comme traitement de fond, les antidépresseurs agissant comme un véritable filtre émotionnel sont recommandés. Il faut cependant limiter l’utilisation des médicaments et proposer d’autres méthodes tout aussi efficaces, particulièrement les psychothérapies.

On prescrit les médicaments quand il est nécessaire de soulager les symptômes et que ce n’est pas possible immédiatement par des moyens autres non, médicamenteux. Il ne faut pas considérer que ce n’est une fin en soi, il faut s’engager dans un autre traitement qui implique un engagement personnel comme les thérapies cognitives et comportementales (TCC). Les techniques de relaxation et de méditation permettent également de soulager les symptômes. Les TCC et la méditation de pleine conscience ont une efficacité équivalente aux médicaments avec l’avantage d’une meilleure stabilité dans leurs effets. Ils évitent aussi la rechute.

The Conversation

Dominique Servant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.



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