Le 26 mars 2021 avait lieu en France la première prescription de cannabis à usage médical en présence du ministre de la Santé, Olivier Véran, au CHU de Clermont-Ferrand. Ce moment était la concrétisation de deux ans et demi de réflexion menée par deux comités scientifiques successifs, créés par l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
La pertinence de cette légalisation du cannabis à usage médical avait été préalablement actée non seulement par les autorités sanitaires à partir des données scientifiques internationales disponibles, mais aussi par les autorités politiques. Ces dernières ont signifié leur position lors du vote à l’Assemblée nationale de l’article 43 de la loi N°2019-1446 de financement de la Sécurité sociale pour 2020, porté par Olivier Véran – alors député. En application de cette loi, le décret 2020-1230 du 7 octobre 2020 autorisait une expérimentation relative à l’usage médical du cannabis sous la forme de médicaments, à titre expérimental et pour une durée de deux ans à compter de la prescription au premier patient.
Un an après, où en est-on de cette expérimentation nationale de politique publique, dont l’objectif principal est de déterminer les conditions d’une légalisation de l’accès aux médicaments à base de cannabis ?
Déjà 1500 patients traités
Avant la France, plusieurs pays ont autorisé l’accès aux médicaments à base de cannabis, parfois depuis longtemps. C’est notamment le cas du Canada (2001), d’Israël (2004), de l’Italie (2013), de l’Allemagne (2017)…
L’expérimentation en cours dans notre pays prépare une prochaine légalisation d’accès au cannabis médical et permet d’adapter ce dernier aux spécifications françaises de l’accès aux soins. Elle permet également de traiter sans attendre les premiers patients en toute sécurité (« soulager sans nuire »), en attendant les prises de décisions actant la légalisation de ces traitements.
Les patients qui souhaitent être inclus dans ces traitements doivent en faire la demande à leur médecin. Ce dernier peut alors les aider à justifier médicalement leur inclusion au regard de leur pathologie et des traitements déjà prescrits. Cependant, toutes les demandes ne pourront probablement pas être acceptées, car l’expérimentation actuelle, qui doit se terminer en mars 2023, ne concerne qu’un nombre limité de patients : elle a été calibrée pour traiter jusqu’à 3 000 malades. À mi-parcours, 1 500 patients ont déjà pu bénéficier de ces traitements, malgré une situation sanitaire difficile liée au Covid, qui mobilise fortement les professionnels de santé hospitaliers et libéraux. Les pharmaciens d’officine se sont eux aussi fortement impliqués dans la dispensation de ces traitements, parallèlement à leur forte implication dans le dépistage et la vaccination Covid-19.
Le relais de ces prescriptions auprès des médecins traitants des patients reste limité, pour deux raisons principales. D’une part, en raison d’une certaine prudence envers ces nouveaux traitements, et d’autre part à cause des contraintes imposées par le caractère expérimental de ces prescriptions, qui nécessite une formation obligatoire ainsi que le remplissage d’un registre à chaque consultation. Néanmoins, des centaines de médecins travaillant dans plus de 240 structures hospitalières, en métropole et outre-mer, sont d’ores et déjà impliqués dans l’instauration de ces traitements : au total, plus de 1000 professionnels de santé ont déjà été formés à la prescription et dispensation de ces médicaments.
Il est recommandé aux patients qui souhaiteraient intégrer une potentielle prescription dans leur parcours de soin habituel d’en parler au préalable avec leur médecin traitant et leur pharmacien d’officine, qui pourront les adresser à l’une des 280 structures hospitalières participantes. Toutes les réponses aux questions sur cette expérimentation sont consultables sur le site de l’ANSM (notamment pour savoir si l’un des services hospitaliers proches de chez vous en fait partie).
Du cannabis médical pour qui et comment ?
À l’occasion de la première prescription de cannabis médical en France, le 26 mars 2021, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, avait déclaré : « C’est le rôle de la médecine que de combattre les maladies et de soulager les douleurs. […] je suis fier que la France puisse expérimenter l’usage du cannabis à des fins médicales, et ainsi mieux accompagner des milliers de patients qui affrontent des pathologies lourdes. »
Ces traitements s’adressent en effet à des malades pour lesquels la médecine est en échec thérapeutique dans les cinq situations cliniques suivantes : douleurs neuropathiques, épilepsie, spasticité (contraction musculaire anormale) douloureuse, situations palliatives et complications liées au cancer et à ses traitements. En effet, un niveau modeste de preuve scientifique sur leur efficacité ne permet pas d’en faire des traitements de première ligne.
Les patients peuvent se voir prescrire des huiles à prendre par voie orale contenant des extraits de fleurs de cannabis. Cette forme représente le traitement de fond prescrit en première intention. Des fleurs séchées de cannabis associées à un dispositif de vaporisation pour inhalation sont parfois associées à ces huiles, pour soulager notamment des épisodes douloureux aigus mal jugulés par le traitement de fond.
Tous ces médicaments sont caractérisés par leur teneur en deux phytocannabinoïdes, les plus fréquemment présents dans les fleurs de cannabis : le CBD ou cannabidiol (substance légèrement psychoactive, sans risque avéré de dépendance, non classée parmi les stupéfiants) et le THC ou tétrahydrocannabinol (substance la plus psychoactive, à l’origine des effets euphorisants et désinhibiteurs, mais aussi des risques de dépendance du cannabis. Elle est classée dans les stupéfiants). Les taux de ces deux substances varient selon les variétés de cannabis.
Comme cela était attendu, et comme pour tous médicaments, certains patients n’ont pas présenté d’amélioration significative de leurs symptômes. Chez d’autres, le traitement a parfois dû être arrêté en raison de l’apparition d’effets indésirables bien connus, majoritairement d’ordre neurologique (somnolence), psychiatrique (anxiété), cardio-vasculaire (palpitations) ou digestif (diarrhée). Au final, ce sont un quart des patients traités qui ont arrêté leur traitement pour l’une de ces deux raisons.
« Certaines modalités de l’expérimentation sont régulièrement réinterrogées de façon à répondre au plus près aux besoins des patients et des professionnels de santé, en concertation avec eux », souligne Nathalie Richard, directrice du projet cannabis médical à l’ANSM.
Il faut noter que ces traitements ne s’adressent pas spécifiquement à des patients consommateurs de cannabis. Les patients traités par ces médicaments à base de cannabis n’ont, dans leur très grande majorité, jamais consommé de cannabis.
Une filière française de production de ces médicaments
L’expérimentation en cours permettra d’évaluer les meilleures conditions de prescriptions et de dispensation de ces médicaments. Cela ne devrait pas poser de difficultés particulières. En effet, prescrire des médicaments stupéfiants en primoprescription hospitalière est déjà bien connu et maîtrisé par les professionnels de santé. Des adaptations ont déjà été proposées par l’ANSM pour optimiser l’accès des patients à ces médicaments.
Un point important consistera à établir une filière française de production de ces médicaments. En France, le décret 2022-194 du 17 février 2022, entré en vigueur le 1er mars, autorise désormais la culture de cannabis à usage médical. En pratique, un premier arrêté sera publié pour préciser les conditions légales de cette culture. Elle relèvera de règles différentes de celle du chanvre en plein champ, du fait de la présence dans les variétés concernées de THC, substance classée stupéfiant.
En parallèle, l’ANSM a aussi installé un nouveau comité scientifique temporaire, dénommé « Culture en France du cannabis à usage médical – spécifications techniques de la chaîne de production allant de la plante au médicament ». Il définira les spécifications attendues pour les médicaments à base de cannabis qui seront produits par une future filière de production française, de la graine au médicament.
Ce comité est composé notamment de représentants des différents ministères concernés (agriculture, santé, économie, intérieur), de représentants de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ainsi que du Conseil national de l’ordre des pharmaciens. Les premières assises du cannabis médical ont d’ailleurs déjà eu lieu au ministère de la Santé.
« Les conditions de l’expérimentation ont été définies de façon à sécuriser au mieux l’utilisation des médicaments à base de cannabis pour les patients. De l’approvisionnement à la surveillance rigoureuse des effets indésirables. », explique Nathalie Richard.
Dans les années à venir, le travail de recherche devra se poursuivre : ces thérapeutiques à base de cannabis, bien que disponibles dans certains pays depuis plus de vingt ans, sont encore expérimentales et nécessiteront donc des connaissances complémentaires pour mieux préciser leurs indications, les profils de patients concernés et les compositions des produits. La formation des professionnels de santé sera aussi l’un des enjeux majeurs.
Enfin, le remboursement par l’Assurance maladie de ces médicaments à base de cannabis fera aussi partie des questions cruciales à traiter avant toute généralisation, car cela en conditionnera bien évidemment l’accessibilité. L’opinion publique semble quant à elle prête à l’arrivée de ces nouveaux traitements : un sondage réalisé en janvier 2022 par l’IFOP rapportait que plus des deux tiers des Français (70 %) sont favorables à la légalisation de l’usage du cannabis à titre thérapeutique.
Nicolas Authier est l’auteur du livre « Le Petit livre du cannabis médical », First Editions.
Nicolas Authier, Professeur des universités, médecin, Inserm 1107, Université Clermont Auvergne et CHU Clermont-Ferrand, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.