LeSocial Emploi Prepa Doc Formateque

SOLIDARITES

Comment encourager la « désistance », ou processus de sortie de la délinquance ?

La « loi pour sortir la France du piège du narcotrafic » est essentiellement constituée de mesures répressives inspirées de la lutte contre le terrorisme : création d’un service de police « chef de file » contre la criminalité organisée ; d’un parquet national anticriminalité ; augmentation de la surveillance et des saisie pour les biens acquis illégalement ; secret sur les techniques d’enquête… En revanche, les mesures pour favoriser la sortie de la criminalité ne sont envisagées qu’à la marge. Or, les études sur le processus de « désistance » (processus d’abandon du mode de vie criminel) s’inscrivent à rebours de la stratégie politique choisie par le gouvernement. Ces travaux soulignent qu’il est nécessaire de trouver des passerelles pour compenser la perte financière, le statut, mais aussi la « marque pénale » associées à l’activité criminelle en vue d’une réinsertion durable.

Dans le cadre de ma recherche en région parisienne, de 2014 à 2018, j’ai enquêté auprès de 33 personnes ayant abandonné la criminalité. Ces personnes, anciennement impliquées dans la délinquance de rue (vol, violence, consommation et vente de substances addictives illégales…) m’ont permis d’étudier les changements de mode de vie dans leurs parcours.

La mise en couple, le fait de trouver un emploi légal, de devenir parent ou de déménager, sont des éléments de changement qui s’avèrent déterminants.

Sidi (les prénoms ont été anonymisés), 23 ans :

« Le fait d’être papa […] ça me fait beaucoup réfléchir, parce qu’avant, je ne pensais qu’à ma gueule […] donc je me dis si je fais une connerie, c’est pas moi qui paie, c’est ma petite amie et ma fille qui paient […] maintenant, ce que je veux, c’est avoir une bonne vie, travailler… »

La responsabilité d’une condamnation pénale devient collective, elle touche toute une famille, le couple et les éventuels enfants. Elle se répercutera aussi sur la possibilité de trouver un emploi sur le marché légal. Or, un autre pilier des changements de parcours consiste à occuper un emploi dans lequel on se voit faire carrière, s’épanouir et structurer une routine quotidienne.

L’insertion par le travail

Hamid, 31 ans :

« Ce qui aide beaucoup, c’est le travail. Déjà, d’une, pour la rémunération, on travaille tous pour de l’argent et, de deux, c’est l’occupation, on s’occupe la journée, on rentre le soir, on sait qu’on doit se lever tôt, on est fatigué… »

Ces personnes ont témoigné, dans leur immense majorité, du poids de la « seconde peine » désignant le rejet social produit par une condamnation. De fait, il est très difficile de se réinsérer sur le marché du travail légal à court terme, quand bien même existent des compétences professionnelles.

Serge qui vit désormais en dehors de la délinquance a mis des années à se refaire une place :

« Une deuxième peau, la prison c’est, je vais toujours vivre avec […] elle est là, on ne l’enlève plus, j’ai un parcours… »

Cela est d’autant plus vrai si le parcours dans le mode de vie criminel a commencé jeune, avec une personne rapidement disqualifiée du système scolaire et du marché du travail conventionnel.

Lorsque les parcours sont encore liés à la délinquance, il faut insister sur le rôle de personnes-ressources, évoluant dans un autre milieu social, qui permettent d’essayer autre chose et ailleurs, pour s’épanouir dans un mode de vie différent.

Garance, l’exprime ainsi :

« Pour s’en sortir, il faut le vouloir premièrement, faut se faire aider, même si on est quelqu’un qui a toujours fait les choses tout seul, il faut accepter de se faire engrainer dans le bon sens en fait. »

Reste que les principaux intermédiaires institutionnels qui permettent ces rencontres – les conseillers pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP), sont submergés de travail. Le Conseil de l’Europe recommande de 30 à 60 personnes suivies par agent, or, chaque agent gère encore trop de dossiers en France (70 en moyenne mais avec de grandes disparités selon les territoires). Les associations de réinsertion, cruciales pour aider à retrouver un logement, une formation ou un employeur, [peinent également à maintenir leur budget et leur action].

Déconstruire le culte de l’argent

Un rapport de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) présente plusieurs approches qui mériteraient d’être généralisées.

Le rapport prend en exemple les villes de Sarcelles ou de Loos, commune proche de la métropole lilloise, qui ont créé des podcasts visant à déconstruire les images de réussites parfois associées aux trafics. Il s’agit d’insister sur les risques liés à la criminalité – peines de prison, marginalisation, anxiété constante, insécurité physique.


Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !


C’est ce que décrit Garance, 22 ans :

« Non parce que ça, c’est le cliché, comme on dit l’argent facile, parce que de trouver des clients déjà, c’est un problème […] tu sais que tu ne dors pas bien parce qu’à tout moment tu sais que tu peux te faire attraper […] Après ça, il y a les embrouilles avec les clients… »

Déconstruire le « culte de l’argent », souvent adopté dès un très jeune âge dans certains milieux défavorisés est, sans conteste, un enjeu essentiel, et souvent négligé. Les productions culturelles comme des séries sur des tueurs célèbres fictifs ou réels (Dexter, Dhammer, Ted Bundy) qui esthétisent le meurtre et la violence, au cinéma (le Parrain, Scarface, Heat) jusqu’aux jeux vidéos comme Grand Thief Auto, qui romantisent la carrière criminelle, mériteraient d’être questionnés.

Promouvoir les parcours de réussite

L’autre politique promue par les villes de Sarcelles et de Loos consiste à mettre en lumière des parcours de réussite locale. Des rencontres avec des élèves de première, soutenues par l’association Graines de France ont été organisées avec des sportifs, des agents de l’État, des dirigeants d’entreprises issus des mêmes quartiers qui incarnent cette réussite. À Loos, l’association L59760 a réuni des danseurs de break et de hip-hop ayant fait carrière dans la police, l’armée, la santé ou l’éducation.

Avec le programme « Et toi, en 2024 ? » il s’agissait de mobiliser les habitants autour de valeurs d’efforts et de persévérance opposées à celles de l’argent facile.

Harif commente :

« Si vous saviez le nombre de petits jeunes que j’aimerais voir rester à l’école, parce que qui est le plus heureux ? C’est le mec qui a fini cadre et voilà, après c’est un choix de vie, soit tu choisis de vivre de 20 à 30, soit tu choisis de vivre de 30 à la fin de ta vie. »

Repenser les parcours de vie

Les périodes électorales sont propices au « populisme pénal » consistant à glaner des voix en prônant une surenchère punitive. Est-ce une réponse efficace ?

Éviter les parcours de vie marqués par les interventions de la justice, de la police, et de l’institution pénitentiaire est certainement la meilleure des politiques pénales.

Cibler les fragilités des personnes les plus vulnérables, dès le plus jeune âge, devrait être une priorité, via des politiques soutenant les familles, les institutions scolaires et les quartiers. Aider ceux qui sont passés par la criminalité à en sortir est également indispensable, pour une réintégration professionnelle et citoyenne pleine et entière, une fois la peine purgée.

Valerian Benazeth, politiste, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Le Social est édité par la société Social Connexion. Son équipe propose des services en ligne depuis plus de 25 ans dans le domaine du secteur social et du médico-social.