La question de la fin de vie est un débat qui revient régulièrement en France, et d’autant plus vivement ces derniers mois du fait de la mise en place d’une convention citoyenne sur le sujet. Inscrite dans un débat national, cette dernière permettra aux 185 citoyennes et citoyens tirés au sort d’échanger « afin d’esquisser des perspectives nouvelles et des consensus sur le sujet de la fin de vie ». Les travaux produits seront rendus publics en mars 2023.
L’évolution possible de la législation dans ce domaine sensible a amené François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, à déclarer en septembre 2022 que, si le pays ouvrait la possibilité d’une aide active à mourir, les médecins devraient pouvoir bénéficier d’une « clause de conscience ».
Connue chez les médecins et autres professionnels de santé, la clause de conscience existe aussi dans d’autres professions – notamment les journalistes. Sa création a même été un temps évoquée pour les maires, mais n’a jamais abouti.
Mais de quoi s’agit-il concrètement en ce qui concerne les professionnels de santé ? À qui et, surtout, à quels actes s’applique-t-elle déjà ? Et quels usages pourraient en être fait demain ? Il est important de connaître ce que dit la loi, et ce qui existe déjà dans des pays ayant déjà légiféré sur ce sujet.
« Controverses » est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches.
Clause de conscience : de quoi parle-t-on ?
Pour reprendre la définition donnée par Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie de l’Ordre des médecins, dans son rapport « Clause de conscience du médecin », elle est :
« Pour le médecin, le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. »
De ce fait, elle peut être considérée par certains comme un frein à l’accès à des actes donnés. Pour les professionnels de santé, elle est vue par contre vue comme un outil permettant la préservation de leur liberté de conscience.
- Quels actes sont concernés ?
Si l’article R4127-47 du Code de la santé publique pouvait s’apparenter à une clause de conscience « générale », nous précisons ici les clauses de conscience dites « spécifiques », portant sur des actes médicaux précis.
La première clause de conscience spécifique a été mise en place en 1975 par la loi Veil consacrant le Droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dorénavant inscrite à l’article L2212-8 du Code de la santé publique.
Ce modèle a ensuite été élargi à d’autres actes, comme la stérilisation à visée contraceptive comme l’indique l’article L2123-1 du Code de la santé publique. Depuis la loi bioéthique de 2011, une clause de conscience spécifique est inscrite à l’article L2151-7-1 de ce même Code concernant la recherche sur les embryons humains.
- Quels professionnels peuvent l’invoquer ?
Les médecins sont évidemment les premiers concernés par la clause de conscience. Néanmoins, la loi étend son application dans le cadre du refus de pratiquer une IVG ou de concourir à l’exercice de cet acte : elle peut s’appliquer aux infirmiers, sages-femmes ou encore aux différents auxiliaires médicaux.
De même, l’article L2212-8 du Code de la santé publique dispose qu’un établissement de santé privé habilité à assurer le service public hospitalier peut refuser que des interruptions volontaires de grossesses soient pratiquées dans ses locaux. Cela n’est toutefois possible que si « d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux ».
Vers une nouvelle clause de conscience spécifique ?
Si la France n’autorise pour l’instant ni l’assistance au suicide ni l’euthanasie, elle possède un cadre juridique permettant de procéder à une sédation profonde et continue dans des cas bien précis, prévus par la loi.
« À la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants :
– Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements,
– Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable,
– Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l’obstination déraisonnable mentionnée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie. » (Article L1110-5-2 du Code de la santé publique)
La loi Claeys-Léonneti de 2016 a ainsi posé le cadre légal de la fin de vie que nous connaissons actuellement. Il est important de noter que le Conseil national de l’ordre des médecins n’a pas souhaité la mise en place d’une clause de conscience pour cette sédation profonde et continue : « Grâce à l’équilibre trouvé du texte, une clause de conscience spécifique n’est pas nécessaire ».
Si la législation sur la fin de vie venait à s’assouplir, avec la possibilité de la mise en place d’une aide active à mourir, cet équilibre serait de facto affecté. La question d’une nouvelle clause de conscience spécifique, similaire à ce qui a été mis en place pour l’IVG, la stérilisation à visée contraceptive ou la recherche sur les embryons humains, pourrait de ce fait être soulevée pour les professionnels de santé.
C’est en tout cas ce que souhaite le Conseil national de l’Ordre des médecins.
Dans son avis 139 rendu public le 13 septembre 2022, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) émet plusieurs recommandations, dont une sur la clause de conscience des personnes susceptibles de concourir à la pratique d’une euthanasie ou d’une assistance au suicide. Ce rapport met ainsi en avant le fait que :
« Toute évolution juridique dans le sens d’une dépénalisation de l’assistance au suicide devrait être accompagnée de l’institution d’une clause de conscience, accompagnée d’une obligation de référer le patient à un praticien susceptible de réaliser l’intervention. »
Comment nos voisins ont-ils traité les actes concernés ?
L’aide active à mourir recouvre deux types d’actes principaux : l’euthanasie (légale en Belgique, aux Pays-Bas ou encore au Luxembourg) et l’assistance au suicide ou suicide assisté (autorisée dans dix États états-uniens, en Suisse, en Autriche ou en Nouvelle-Zélande). Selon les pays, le principe de la clause s’exprime différemment.
- L’euthanasie est définie comme suit dans l’avis 121 du CCNE :
« Un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable. »
La législation belge dispose d’une clause de conscience sur cette pratique. La loi belge du 28 mai 2002 prévoit en effet « qu’aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie ». Néanmoins, celui-ci est tenu de communiquer le dossier médical du patient et de le rediriger vers un autre praticien.
- Le suicide assisté, ou assistance au suicide, qui consiste à « donner les moyens à une personne de se suicider elle-même » (avis 121 du CCNE précité).
En Suisse, le rôle des associations est prépondérant. Ces dernières accompagnent les personnes dans ce processus même si, depuis 2012, les établissements de soins et médico-sociaux de certains cantons peuvent y concourir si un patient en fait la demande. La prescription se fait par un médecin, mais le geste létal est le fait de la personne ayant demandé le suicide.
Concernant la clause de conscience, Sandra Merkhi, directrice de soins aux hôpitaux de Genève, rappelle que son établissement a « décidé dès le début de ne pas obliger ses (nos) collaborateurs, médecins également, d’accompagner jusqu’au dernier moment ce suicide assisté si ça allait à l’encontre de leurs valeurs ».
Selon les cantons, il existe donc un équivalent de la clause de conscience. Cependant, trois cantons « imposent aux hôpitaux ou établissements médico-sociaux de permettre l’assistance au suicide pour les patients souffrant de maladies graves et incurables », comme le relève l’avis 139 du CCNE précité.
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L’avis des soignants français
Afin de connaître l’opinion des principaux concernés du côté des soignants et personnes pouvant concourir à un acte d’aide active à mourir, un sondage OpinionWay pour la Société française d’accompagnement palliatif (SFAP) a été publié en septembre dernier. Il a été mené auprès de 1335 personnes exerçant en soins palliatifs, dont 326 bénévoles.
Pour rappel, la loi prévoit que « les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ». La SFAP est une association regroupant un grand nombre d’acteurs français du mouvement d’accompagnement palliatif.
Les résultats sont très marqués : si 15 % des acteurs de soins sont favorables à l’évolution de la législation vers l’instauration d’une mort intentionnellement provoquée, 85 % ne le sont pas ou pas du tout. De plus, deux tiers des acteurs de soins répondants déclarent qu’ils pourraient utiliser leur clause de conscience ou quitter leur poste actuel si l’euthanasie venait à être légalisée.
Ces données, comme les interventions de l’Ordre des médecins, mettent en avant un véritable enjeu relatif à l’évolution de la législation sur la fin de vie : une nouvelle loi ne semblerait donc pas pouvoir se faire sans la mise en place d’une clause de conscience spécifique.
La mort est un sujet tabou, d’autant plus quand elle est provoquée. La prochaine législation sur le sujet, si elle venait bousculer l’exercice de la pratique médicale, pourrait donc voir naître une nouvelle clause de conscience pour le personnel médical afin que celui-ci l’accepte. Ce pourrait être une nécessité pour garantir en parallèle un accès aux procédures d’aide active à mourir pour les patients qui en feraient la demande.
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Marie Drouillard, Doctorante en Droit de la santé, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.