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Pourquoi la vaccination rencontre-t-elle tant de scepticisme ?

En cinquante ans, les programmes de vaccination auraient sauvé 154 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde, selon une étude publiée en 2024 dans la prestigieuse revue The Lancet. Sur cette période, les vaccins administrés auraient fait décliner la mortalité infantile de 40 %.

Pourtant, en France comme dans d’autres pays, le scepticisme vis-à-vis de la vaccination est toujours présent dans une partie de la population. Il entraîne une difficulté à maintenir une couverture vaccinale haute pour certains pathogènes, entraînant la diffusion de cas sporadiques ou de foyers épidémiques. La recrudescence récente de cas de rougeole témoigne de cette situation.

Cette méfiance se retrouve également à chaque diffusion de nouveaux vaccins, comme lors de la pandémie de Covid-19. La campagne de vaccination contre le papillomavirus pâtit également de cette situation : en décembre 2023, le taux de vaccination en France n’était que de 44,7 % pour le schéma complet chez les jeunes filles de 16 ans, et de 15,8 % chez les garçons. Pour mémoire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un taux de couverture vaccinale entre 80 et 90 %… Preuve de l’efficacité d’une couverture vaccinale élevée : en Suède, le sous-type HPV-18 du papillomavirus serait proche de l'éradication chez les jeunes femmes faisant partie des classes d'âges qui ont été très largement vaccinées, tandis que le sous-type HPV-16 a également très fortement diminué.

Pourquoi la vaccination, qui représente pourtant un puissant outil de prévention, fait-elle l’objet de si fortes réticences ? Et comment améliorer l’adhésion des populations ?

Des sources de réticence multiples

En 1885, un siècle après les essais d’immunisation du médecin anglais Edward Jenner, Louis Pasteur fabriquait le premier vaccin post-exposition contre la rage. Depuis, de nombreux vaccins ont été mis au point pour lutter contre des maladies transmissibles qui entraînaient un lourd fardeau de décès, de maladies et de séquelles.

Pourtant, aujourd’hui encore, la vaccination rencontre une certaine défiance dans de nombreux pays, dont la France. Si l’édition 2023 du baromètre de Santé publique France indique que l’adhésion à la vaccination s’est stabilisée à un niveau élevé dans l’Hexagone (84 % des personnes interrogées en France hexagonale déclarant être favorables à la vaccination en général), elle révèle aussi que l’adhésion vaccinale reste moins élevée chez les personnes disposant des diplômes ou des revenus les plus faibles. Elle a en outre tendance à diminuer chez les personnes âgées.

Les travaux de recherche ont montré que de nombreux facteurs influent sur la décision vaccinale : opinions et expériences personnelles ou des proches – notamment concernant la santé et la prévention –, connaissances et compréhension des données scientifiques, crainte des effets indésirables, oubli (dans les pays industrialisés) de ce qu’étaient les grandes épidémies, convictions religieuses, etc.

La vaccination consiste à intervenir sur un individu sain, dont on ignore les risques de contamination. Elle peut de ce fait être perçue comme une forme d’intrusion, ce qui, si les raisons de son intérêt ne sont pas expliquées, peut être mal vécu et entraîner un rejet. La légitimité d’une telle intervention est donc importante à expliquer, notamment si le péril de la maladie s’estompe ou n’est pas évident. D’autant que, comme tout produit de santé, le vaccin peut entraîner des effets secondaires.

La notion de rapport bénéfice-risque devient également bien plus sensible dans le cadre de la vaccination, car le vaccin est administré à des personnes bien portantes (quand bien même le risque de maladie est patent sur un territoire). La situation actuelle concernant le vaccin contre le chikungunya à La Réunion illustre bien l’importance d’évaluer en continu cette balance entre risques et bénéfices, en mettant en place des mesures de pharmacovigilance strictes et en diffusant les informations de façon transparente.

La question de la lisibilité des vaccinations se pose également. En effet, un nombre important d’entre eux vise des populations spécifiques (les nouveau-nés, les adolescents, les personnes âgées ou fragiles, les femmes enceintes, les voyageurs, certaines activités professionnelles), ce qui complique la compréhension de la population. En 2024, la Haute Autorité de santé publiait d’ailleurs une position intitulée : « Simplifions les vaccinations ! ».

Enfin, les technologies et la composition des vaccins sont variées : vaccin vivant atténué, inactivé, conservant tout ou partie de l’agent infectieux, utilisant des acides nucléiques (comme les vaccins à ARN messager) ou, plus récemment encore, à vecteur viral… La coexistence de ces modes d’action, peu évidents à comprendre sans une solide culture scientifique, rend complexe l’explication du fonctionnement des vaccins.

En outre, tous les vaccins n’ont pas la même efficacité, notamment pour ce qui concerne leur capacité à empêcher la transmission de la maladie par ce que l’on appelle l’« immunité collective ».

Soupçons de conflits d’intérêt

À ces facteurs s’en ajoute un autre, d’ordre économique : la rentabilité du secteur des vaccins, dont bénéficient les laboratoires producteurs, ajoute probablement à la méfiance ambiante. Le marché du vaccin est en effet florissant. Aux yeux d’une partie du public, l’intérêt lucratif que trouveraient ces entreprises dans la production de vaccins entrerait en conflit avec l’efficacité des produits dont elles « font l’article ».

Vaccins et publicité

La publicité par les entreprises pharmaceutiques, bien qu’autorisée, est strictement réglementée. Les campagnes publicitaires non institutionnelles auprès du public pour des vaccins ne sont autorisées qu’à titre dérogatoire. En outre, les produits concernés doivent figurer sur la liste de vaccins établie pour des motifs de santé publique par arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Haute Autorité de santé. De tels messages ne sont autorisés qu’à la condition que leur contenu soit conforme à l’avis de la Haute Autorité de santé et soit assorti, de façon clairement identifiée, des mentions minimales obligatoires déterminées par cette instance.

Cette question des profits est d’autant plus problématique qu’elle est souvent relayée et dévoyée par les réseaux sociaux conspirationnistes, accusant les laboratoires pharmaceutiques – les Big Pharma – d’instrumentaliser les pouvoirs publics pour asseoir leur domination et s’enrichir encore. Une accusation qui a redoublé d’intensité lors de la pandémie de Covid-19.

Il est d’autant plus important de lutter contre ces fake news sur les réseaux sociaux qu’il a été démontré lors de la pandémie de Covid que l’exposition à de telles informations augmente l’hésitation vaccinale et réduit l’intention de se faire vacciner.

Dans un tel contexte, comment s’assurer que les vaccins efficaces puissent être le plus largement possible diffusés ? En France, il a été considéré que la réponse à cette question passe par l’obligation vaccinale.

La vaccination obligatoire, un déni de liberté ?

Depuis 1902, la France a opté pour la vaccination obligatoire, dans les premiers temps pour diffuser le vaccin anti-variolique. Le législateur a depuis étendu plusieurs fois cette obligation, tout en continuant à se demander s’il faut poursuivre cette extension, comme l’illustrent les déclarations récentes de Yannick Neuder, le ministre de la santé, à propos d’une éventuelle obligation vaccinale contre la grippe pour les soignants.

Aujourd’hui, les dispositions obligatoires visent essentiellement les enfants (l’article L. 3111-2 du Code de la santé publique, issu de la loi du 30 décembre 2017, impose ainsi, sauf contre-indication médicale, 11 vaccinations pour l’admission, dans toute école, des enfants nés à partir du 1er janvier 2018), ainsi que les professionnels de santé au sens large, travaillant dans les secteur médicaux et médico-sociaux.

Comme tout acte médical, du point de vue du droit l’injection d’un vaccin constitue une atteinte au corps humain. C’est pourquoi l’obligation vaccinale ne va pas de soi en France : elle peut apparaître contredire la liberté de chacune et de chacun de consentir ou non à tout acte, aussi peu invasif soit-il, portant atteinte à l’intégrité physique (article 16-3 du Code civil).

Dans le même sens, l’intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Sur ces bases, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations avait saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation du décret n°2018-42 du 25 janvier 2018 portant de 3 à 11 le nombre des vaccinations obligatoires.

Le Conseil d’État a rejeté le recours, estimant que la restriction apportée au droit au respect de la vie privée par l’obligation vaccinale des enfants était justifiée par l’objectif poursuivi

« d’amélioration de la couverture vaccinale pour, en particulier, atteindre le seuil nécessaire à une immunité de groupe au bénéfice de l’ensemble de la population et proportionnée à ce but ».

Quelles sanctions en cas de non respect de l’obligation vaccinale ?

La sanction pénale spécifique de l’ancien article L.3116-4 du Code de la santé publique, qui a un temps existé pour les parents qui refuseraient les vaccinations obligatoires pour leur enfant, a été supprimée le 30 décembre 2017. Toutefois, le manquement à cette obligation pourrait être sanctionné au regard d’un texte plus général du Code pénal, aux termes duquel :

« Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Afin de protéger à la fois ces professionnels et les populations vulnérables contre des risques sanitaires particuliers, la loi du 23 février 2017 a créé une obligation vaccinale pour l’entrée dans les études de santé ou de certains autres métiers à risque, principalement pour des vaccins ciblant des pathologies spécifiques comme l’hépatite B, la poliomyélite, le tétanos et la diphtérie.

Lors de la récente pandémie, la loi du 5 août 2021 avait également imposé la vaccination contre le Covid-19 aux professionnels des secteurs médicaux, sociaux et médico-sociaux, assorti de sanctions sévères en cas de non respect. Cette obligation a été levée en 2023, après avis de la Haute Autorité de santé, le Comité consultatif national d’éthique ayant en parallèle émis un avis sur l’obligation vaccinale des soignants.

Au titre de l’article 13 de la loi du 5 août 2021, les professionnels de santé qui exercent en violation d’une obligation vaccinale encourent des peines d’amende, voire d’emprisonnement en cas de récidive.

L’établissement et l’usage d’un faux certificat de statut vaccinal ou d’un faux certificat médical de contre-indication à la vaccination contre le Covid-19 sont punis conformément au chapitre Ier du Titre IV du livre IV du Code pénal. L’article 441-1 du Code pénal prévoit quant à lui une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende pour le faux et l’usage de faux.

Dans les autres pays

Étendre la portée du regard sur l’obligation vaccinale à l’international est également instructif. Bien que l’OMS élabore des recommandations concernant la pertinence des vaccinations, chaque pays dispose de son propre calendrier vaccinal. La diversité des stratégies concernant l’obligation est remarquable. Ainsi, en 2023, 13 pays de l’Union européenne avaient choisi de ne rendre aucun vaccin obligatoire.

En Grande-Bretagne, premier pays à avoir rendu obligatoire le vaccin anti-variolique en 1853, les vaccins sont aujourd’hui uniquement « recommandés ». La Belgique et l’Allemagne n’ont qu’une seule vaccination obligatoire (contre la poliomyélite pour la Belgique et la rougeole pour l’Allemagne). À l’inverse, l’Italie dispose de 10 vaccins obligatoires et la Lettonie, 15.

Il faut souligner que la performance de ces pays concernant la couverture vaccinale des populations cibles n’est pas forcément reliée à la notion d’obligation. Ainsi, en 2022, le taux de couverture contre la rougeole était de 90,4 % en France, mais de 94,5 % en Norvège, où le vaccin est seulement recommandé, et de 85.1 % en Italie où il est obligatoire depuis 2017. En Grande-Bretagne, en 2022-2023, environ 85 % des enfants avaient reçu deux doses de vaccin contre la rougeole avant leur cinquième anniversaire, le niveau le plus bas depuis 2010-2011. En 2024, la recrudescence de la maladie avait forcé le gouvernement à lancer en urgence une vaste campagne de sensibilisation.

Selon l’OMS, les pays visant l’élimination de la rougeole, virus très contagieux, doivent viser un taux de couverture vaccinale de 95 %.

Comment restaurer la confiance ?

Restaurer et maintenir la confiance envers cet outil majeur de prévention qu’est le vaccin passe par l’explication des raisons pour lesquelles il est important d’atteindre la meilleure couverture vaccinale possible, trop souvent mal comprise.

Il semble indispensable de mettre en place une véritable stratégie de promotion de la vaccination. Une telle démarche passe par une sensibilisation et par une formation scientifique et éthique des professionnels de santé, rouages essentiels de l’information au public.

La lutte contre les fausses informations passant par les réseaux sociaux est également nécessaire. Cependant, elle va de pair avec la garantie d’une indépendance totale de la communication vis-à-vis des laboratoires producteurs de vaccins, au sujet desquels l’autorisation de publicité demande à être fortement limitée, car il s’agit d’un domaine public pour lequel l’information doit rester maîtrisée par les pouvoirs publics sans aucune interférence.

La vaccination est une question de santé publique. C’est pourquoi, les instances de démocratie en santé (conférences de santé, sociétés savantes, représentants des usagers…) doivent jouer un rôle majeur, et se saisir de ces sujets pour mieux les expliquer, au plus près des préoccupations des populations.

Ce n’est que dans le cadre d’une telle stratégie que les pouvoirs publics seront en mesure d’évaluer l’intérêt et l’utilité de rendre un vaccin obligatoire, notamment en situation d’urgence sanitaire.

Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Sorbonne Paris Nord et Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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