Tous les ans en Europe, à compter de la mi-novembre, les femmes travaillent gratuitement jusqu’à la fin de l’année, en raison de l’écart salarial persistant (13 %) entre les sexes.
Les inégalités entre les femmes et les hommes en milieu professionnel soulignent l’importance de prendre des mesures concrètes pour promouvoir l’égalité entre les sexes.
Il est crucial de reconnaître que les écarts salariaux et les disparités professionnelles ne sont pas seulement dus à des choix de carrière différents, mais également à un sexisme institutionnalisé profondément ancré dans nos structures sociales. Cette prise de conscience est essentielle pour définir des politiques efficaces qui s’attaquent aux mécanismes à l’origine de ces disparités.
Dans le champ des luttes contre les inégalités, outre les mesures coercitives, on dénombre habituellement trois types d’actions : les actions positives, les mesures d’aide et de soutien et les mesures de sensibilisation. À cette liste, nous proposons d’ajouter une quatrième action : celle des alliés.
Des mesures possibles au sein des entreprises
Si les écarts entre les hommes et les femmes sont expliqués comme étant principalement le résultat de discriminations répétées à l’encontre des femmes (sexisme institutionnel), la logique qui s’impose est de promouvoir les politiques de discrimination positive qui visent à corriger les déséquilibres.
Dans le cas qui nous préoccupe, nous pouvons citer en exemple, des quotas qui imposent un certain pourcentage de femmes dans des postes de direction ou encore des politiques de recrutements préférentiels, qui à compétences égales, donnent la priorité à des femmes.
Ces politiques sont fructueuses pour favoriser l’égalité des chances et la diversité, cependant elles sont souvent mal reçues, et ce particulièrement dans les cultures professionnelles dites méritocratiques où les hommes se sentent injustement mis de côté et où les femmes craignent d’être stigmatisées et ne pas être considérées à leur juste valeur. Le manque d’adhésion fragilise leur efficacité.
Pour certains, il est alors préférable d’enseigner les codes et stratégies du système aux femmes par le biais de mesures de mentorat. Cette approche consiste à établir une relation de soutien et d’accompagnement professionnel dans laquelle un mentor expérimenté partage ses connaissances et son expertise avec une employée moins expérimentée pour l’aider à se développer sur le plan professionnel et personnel.
Toutefois, lorsqu’on applique ce type de politique, il est légitime de se demander si la responsabilité ne se déplace pas : en effet, ce ne serait plus les normes qui seraient remises en cause, mais plutôt les femmes et leur capacité à agir.
Enfin, les mesures de sensibilisation ont pour objectif d’informer sur les biais relatifs aux stéréotypes de genre, elles sont indispensables mais moins contraignantes. Elles sont habituellement bien perçues excepté par les personnes qui considèrent qu’à notre époque et chez « nous » il n’y a plus de problèmes d’inégalités entre les femmes et les hommes et sont donc assez vite lassées par ces discours et combats.
Que font les hommes ?
La pluralité de ces politiques en constitue la richesse, mais un grand absent demeure : la proactivité des hommes, ce qui est doublement regrettable. Premièrement parce qu’on peut espérer qu’en 2023, un nombre de plus en plus significatif d’entre eux aimerait tendre vers une plus grande égalité et, deuxièmement, parce qu’ils sont, malgré eux, membres d’un groupe d’individus qui sont les principaux agents qui maintiennent le sexisme.
Ils pourraient donc jouer un rôle clé, comment ? En étant alliés. Les alliés sont des membres du groupe dominant qui cherchent à atteindre un idéal d’égalité en acceptant de renoncer aux privilèges sociaux accordés par leur statut de groupe.
La politique des alliés est encore peu intégrée dans les organisations alors qu’elle évite les écueils des trois types d’action usuels qui viennent d’être décrits.
Tout d’abord, elle ne sera pas considérée comme injuste ou contraire à la méritocratie, ce qui la rend moins polarisante et encourage tout le monde à s’unir pour créer un environnement de travail plus équitable et inclusif. Deuxièmement, cette politique ne fait pas abstraction des facteurs structurels qui créent des inégalités et pointe clairement que le système façonne les hommes tout autant que les hommes créent le système. Enfin, cette politique ne se contente pas de sensibiliser, elle invite à agir.
De plus en plus d’hommes au travail sont conscients des inégalités de genre et agissent en conséquence. Ils ne s’amusent plus les blagues sexistes, assistent à des événements pour promouvoir l’inclusivité et n’acceptent plus d’être des spectateurs passifs de comportements ou propos sexistes.
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À titre d’exemple, lors d’une réunion de travail, un collègue masculin a souligné le caractère sexiste d’un propos tenu par un autre collègue masculin. Ce dernier avait comparé une procédure intrusive à une belle-mère en déclarant : « En réclamant des preuves, je crains de passer pour la belle-mère… ». Bien que cette allusion puisse sembler anodine, elle perpétue des clichés bien ancrés dans notre société.
Le fait qu’un homme ait souligné cette « maladresse » a suscité une réflexion différente de celle qui aurait été engendrée si une collègue avait réagi. En effet, les confrontations des hommes contre le sexisme peuvent surprendre car elles vont à l’encontre des bénéfices du groupe. Contrairement à l’action d’une femme qui pourrait être perçue comme étant motivée par ses propres intérêts. Les hommes ont un pouvoir dans les rapports de genre que les femmes n’ont pas, ce qui les rend essentiels pour dénoncer les discriminations.
Cependant, devenir un véritable allié dans la lutte pour l’égalité n’est pas simple. Partager des valeurs d’égalité et de droits pour les minorités ne suffit pas.
Comment devenir un allié ?
Un premier élément indispensable pour être un allié est de ne pas minimiser la présence du sexisme dans les milieux professionnels et d’être conscient des conséquences néfastes qu’il peut engendrer sur le bien-être des femmes au travail ainsi que sur leur évolution de carrière.
Ensuite, il est essentiel de comprendre sa position dans le système, tout en évitant de tomber dans le piège du sexisme bienveillant. Avant de s’engager dans l’action, il est donc primordial d’adopter un regard critique sur les structures de pouvoir et d’identifier les biais et les mécanismes structurels qui les sous-tendent. Pour déchiffrer et lutter contre les situations de discrimination, il est également important d’accepter de remettre en question ses propres privilèges et d’interroger la culpabilité éventuelle liée à notre appartenance à un groupe majoritaire.
Pour que les hommes s’impliquent habilement dans cette lutte, les entreprises ne peuvent pas simplement compter sur leur bonne volonté. Elles doivent mettre en place des formations et un programme d’accompagnement pour aider les hommes à comprendre et à composer avec leurs intérêts contradictoires, tout en les guidant dans les actions qu’ils pourraient entreprendre. L’objectif est bien de former des alliés, et non pas des chevaliers servants, qui contribueront à la co-construction d’un monde du travail plus équitable et plus inclusif.
Caroline Closon, Professeure en psychologie du travail, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.