Dans de nombreuses entreprises occidentales, les prises de position personnelles ou individualisées prennent souvent le pas sur l’esprit d’équipe. Au lieu de chercher à atteindre un consensus, l’objectif devient de faire triompher son propre point de vue. Cette approche, qui contraste fortement avec des cultures comme celle du Japon, peut avoir des conséquences négatives et contre-productives lorsqu’elle devient toxique.
Un des auteurs de ce court article a travaillé pour et avec Mitsubishi sur les marchés internationaux pendant des années, à la suite d’études asiatiques dans ce domaine à McGill University (Canada). De retour dans des organisations occidentales, il a été frappé par le manque de cohésion intragroupe et la concurrence des idées et comportements délétères y prévalant parfois. Il existe à l’occasion une surenchère qui fait que l’affirmation du « tout moi » doit s’imposer sur l’affirmation du « tout moi » des autres collègues.
Nos recherches récentes montrent pourtant que l’on peut identifier des facteurs clés de consensus (FCC).
Quatre principaux FCC
Que sont exactement les FCC ? Ce sont des éléments organisationnels et humains qui font que les équipes de projet arrivent à mettre de côté les intérêts individuels trop invasifs au profit du bien commun. Grâce à nos recherches, notamment auprès de gestionnaires de projets et de groupes de projets, nous en avons identifié quatre.
En premier lieu intervient l’établissement de normes comportementales incluant l’écoute mutuelle, c’est-à-dire une communication ouverte et constructive entre les individus. Lorsque les membres d’un groupe se sentent appréciés, ils sont moins anxieux et plus enclins à s’exprimer librement et à partager leurs idées novatrices, possiblement productives, voire transformationnelles. Les relations interpersonnelles et le sentiment de confiance s’en trouvent inévitablement renforcées, ce qui facilite la résolution des conflits, qui sont inévitables, et encourage la créativité.
Suit le respect de la triple contrainte de budget, de qualité et de calendrier de livraison. C’est ce qui permet d’optimiser les décisions eu égard aux ressources disponibles, de se concentrer sur la réussite plutôt que sur l’échec, d’offrir un cadre cohérent pour chaque membre de l’équipe, d’adopter une gestion proactive des risques (externes) et vulnérabilités (internes), et de satisfaire de toutes les parties prenantes, investisseurs et clients y compris.
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Il s’agit aussi de mettre en place un système de croyances commun axé sur un but clair. C’est un puissant levier qui permet à tous les membres de l’équipe de partager une vision cohésive, d’aligner leurs efforts et des actions et ainsi d’augmenter l’efficacité globale du travail en cours. Les membres se sentent connectés, engagés et davantage équipés pour surmonter les obstacles, résoudre les problèmes et gérer les malentendus. Cette résilience contribue à façonner une culture d’entreprise positive et motivante.
Anticiper méticuleusement les imprévus est le quatrième FCC. Il existe des imprévus que l’on peut anticiper (il est possible que l’on ait plus de clients que prévu lors de l’ouverture d’un commerce), ceux que l’on peut anticiper mais pour lesquels on ne peut offrir de solutions immédiates, car hautement contextuels (il est possible qu’un défaut de fabrication se présente), et des imprévus qui semblent inimaginables pour toute personne sensée (Apollo 13). Ce sont souvent ces derniers qui mettent la cohésion du groupe à rude épreuve. L’anticipation méticuleuse des imprévus permet d’identifier et d’évaluer les risques liés à un projet et les vulnérabilités des processus internes et des parties prenantes. L’adaptation rapide qui en découle limitera la panique, le stress, et les coûts supplémentaires liés à des actions d’urgence, souvent empreintes d’erreurs et de gaspillage, lesquels minent l’esprit d’initiative et la confiance.
Un « cercle de consensus »
Comment mettre en place ces FCC pour s’entendre ? Un des auteurs du présent article a développé le concept du « cercle de consensus », inspiré des techniques de gestion nippones. Ne la pratique pas qui veut, cependant, car elle requiert une certaine dose d’expérience et de diplomatie.
Voici en quoi elle consiste : les membres du groupe (préférablement pas plus de neuf) se placent en forme de cercle. Le médiateur pose alors une question, qui peut être liée ou non au défi rencontré et qui justifie le besoin d’une décision consensuelle. Les répondants doivent répondre à tour de rôle, un par un, en commençant par la droite ou la gauche du médiateur. Le répondant ne doit répondre qu’avec une phrase, pas plus (pas une phrase interminable à la Marcel Proust cependant !). Il a le droit de passer son tour. Les autres répondants n’ont absolument pas le droit d’intervenir.
On fait ainsi le tour de tous les répondants. Une fois revenu au médiateur, celui-ci peut relancer la question initiale ou alors en proposer une autre. Au bout de compte, pour qui sait bien gérer cette technique, on arrive généralement à un consensus, et on s’aperçoit souvent que ce l’on croyait problématique est en fait la façade d’un problème sous-jacent, fait qui explique la difficulté initiale à trouver un consensus.
Même si la méthode paraît aller de soi, la plupart des participants, nous le disons d’expérience, ne répondent pas à la question et sont incapables de se restreindre à une seule phrase. De plus, il y a toujours au moins un participant qui décide de défier les règles de base, et qui va perturber le groupe pendant la prise de parole d’un autre participant, soit en blaguant, soit en exprimant son désaccord, voire en argumentant avec le médiateur.
Dans ce dernier cas, quand il est clair que le participant cherche à dérouter le processus, on a le droit de lui demander de quitter le groupe, ce qui peut être délicat, on s’en doute. Même des participants professionnels, vice-présidents ou gestionnaires aguerris, ne peuvent s’empêcher de désobéir aux règles de fonctionnement du cercle de consensus, pourtant fort simples. On identifie alors souvent rapidement la vraie source humaine du problème.
Olivier Mesly, Enseignant-chercheur au laboratoire CEREFIGE, université de Lorraine, professeur de marketing, ICN Business School; Christophe Rethore, Enseignant-chercheur et Responsable Département Marketing, ICN Business School et Olivier Braun, , ICN Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.