Trouver un médecin généraliste en France peut ressembler à un vrai parcours du combattant. Des études montrent que cette réalité est encore plus difficile dans les zones rurales.
Difficultés à trouver un généraliste : s’inspirer d’autres pays
La France est loin d’être un cas isolé, mais les causes de ce problème varient d’un pays à l’autre.
En Australie, la population des médecins généralistes est vieillissante et les villes régionales sont très éloignées les unes des autres. Au Canada, seuls 8,5 % des médecins généralistes travaillent dans des zones rurales mais ils soignent 18 % de la population.
En France, d’après les projections de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), le nombre de médecins généralistes va continuer à baisser jusqu’en 2024. Il faudra attendre 2035 pour retrouver les effectifs de 2021.
La répartition géographique des médecins généralistes est très inégale sur le territoire. Aujourd’hui, c’est dans les zones rurales que vivent en majorité les populations qui pâtissent d’un manque d’accès aux généralistes.
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Peu de données françaises existent concernant les facteurs qui influencent l’installation et le maintien des médecins généralistes en milieu rural. Il est par exemple démontré en Australie, au Canada et au Royaume-Uni, que certains facteurs sociaux ont une plus grande influence que des facteurs matériels ou financiers.
Cependant, la diversité des systèmes de santé et des définitions d’une zone rurale diffère selon les pays, et notamment en France où les zones rurales sont plus densément peuplées. L’extrapolation à la France des résultats de ces pays géographiquement différents est donc difficile.
Selon une étude de 2020 portant sur l’Australie, le Canada et les États-Unis, les médecins généralistes ayant passé leur enfance en zone rurale sont plus susceptibles d’y exercer.
Parmi les autres facteurs retrouvés, citons le fait de vivre une relation stable, d’avoir des enfants d’âge préscolaire ou à l’école primaire, et le fait d’être intéressé par la ruralité avant même de commencer les études de médecine. Le fait d’avoir effectué des stages de formation et des remplacements en milieu rural joue aussi.
Les limites des incitations financières à la française
À ce jour, en France, ce sont surtout des incitations matérielles et financières qui visent à encourager les médecins généralistes à venir s’installer dans les zones de pénurie. Ces mesures n’ont été que modérément efficaces, car elles ne prenaient pas en compte les aspects sociaux et créaient des effets d’aubaine, sans stabilité dans le temps des installations.
Identifier les facteurs associés à l’exercice des médecins généralistes en milieu rural peut contribuer à déterminer les stratégies qui facilitent l’installation et le maintien des médecins généralistes sur ces territoires.
Comparer les trajectoires de médecins ruraux et urbains français
L’étude que nous avons publiée récemment dans une revue scientifique internationale concernait la ruralité, telle que définie par l’Insee, qui est basée sur le nombre d’habitants de la commune, la continuité du bâti, et l’influence des villes voisines.
Cette définition géographique diffère de celle de la « zone démographiquement sous-dense », souvent appelée désert médical, qui est une entité déterminée par un processus de concertation et d’analyse de l’offre et du recours aux soins mené à échéances régulières par chaque Agence régionale de santé.
Les zones sous-denses peuvent aussi bien être localisées en zone urbaine que rurale. Mais la grande majorité des zones sous-denses sont situées en zone rurale.
Les zones rurales attirent les praticiens qui y ont vécu
L’étude cas-témoins qui a été menée comparait 2 groupes de médecins généralistes selon leur lieu d’exercice, rural ou urbain. En Bretagne en 2020, 2935 médecins généralistes étaient en exercice dont 370 (12,6 %) en zone rurale.
Tous les médecins ont été destinataires d’un auto-questionnaire portant sur leur parcours de vie personnelle et professionnelle. Un nombre de répondants supérieur à 144 dans chaque groupe permettait de garantir la validité statistique de l’étude.
Les médecins du groupe rural (146 répondants) et urbain (195 répondants) étaient comparables en âge et en sexe, ce qui permettait de les comparer sur les variables d’intérêt. Les médecins des zones rurales avaient davantage vécu pendant leur enfance en zone rurale que les médecins urbains. Leurs conjointes ou conjoints avaient également grandi ou travaillaient en zone rurale.
Les médecins ruraux avaient effectué au moins un stage en zone rurale durant les 6 premières années de leur formation médicale. Ils avaient effectué des remplacements au moins 3 mois en zones rurales. Tous ces résultats étaient significatifs sur le plan statistique.
En sommes, l’installation d’un médecin généraliste en zone rurale est favorisée par au moins l’un de ces facteurs : y avoir vécu, étudié, ou remplacé.
Par ailleurs, les conjointes et conjoints des médecins généralistes ruraux sont plus susceptibles d’être issus du milieu rural que celles et ceux des médecins urbains. Notre étude révèle ainsi que les partenaires et les conjointes ou conjoints des médecins généralistes ruraux sont plus susceptibles de travailler dans les zones rurales que ceux des médecins généralistes urbains.
Cela montre qu’il est important de ne pas se concentrer uniquement sur le médecin généraliste, mais de tenir compte également de sa famille et des opportunités professionnelles pour sa conjointe ou son conjoint.
Quelles politiques pour attirer des étudiants issus de la ruralité ?
L’origine rurale des médecins généralistes est un facteur d’installation en territoires ruraux. Les universités américaines sélectionnent une partie de leurs étudiants sur leur origine rurale, et ont montré que ces étudiants choisiront davantage la spécialité de médecine générale et retourneront exercer dans un territoire rural.
Une autre étude rapporte qu’en Australie, pour attirer les étudiants ruraux, la plupart des écoles de médecine leur attribuaient jusqu’à 25 % des places.
En France, depuis quelques années, plusieurs facultés de médecine proposent de décentraliser les enseignements de la première année des études de santé vers des villes périphériques, pour y préparer le concours d’entrée en 2e année de médecine. C’est par exemple le cas à Pontivy, rattaché à la faculté de médecine de Rennes, et à Périgueux pour Bordeaux.
Elles espèrent ainsi lever certains freins à venir étudier sur les sites hospitalo-universitaires. L’impact sur les profils de recrutement et les orientations professionnelles futures sera évaluable dans quelques années.
Autre levier : des stages universitaires dans les territoires ruraux
En France, la loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé préconise un stage de médecine ambulatoire en zone sous-dense, sans le rendre obligatoire.
Le déploiement des stages universitaires des étudiants en médecine dans les territoires ruraux devrait encore être renforcé, car c’est un facteur prouvé d’installation future en zone rurale. La réalisation de tels stages s’est d’ailleurs révélée efficace dans de nombreux pays : aux États-Unis, au Canada, au Japon ou encore en Australie.
En Chine, une université a mis en place un programme d’enseignement médical gratuit en milieu rural dont 100 % des diplômés ont ensuite exercé en milieu rural, contre 1,06 % pour les autres diplômés. Une université japonaise, elle, oblige ses étudiants à effectuer un stage rural post-universitaire de neuf ans. À la suite de cette période, cela multiplie par quatre le maintien dans les zones rurales.
Favoriser aussi les remplacements de généralistes en zones sous-denses
Les remplacements en milieu rural d’au moins trois mois favorisent aussi le fait d’exercer dans une zone rurale. Ces résultats concordent avec ceux d’une étude canadienne montrant que 44,6 % des médecins généralistes choisissent d’exercer dans une région où ils ont déjà travaillé en tant que remplaçants.
Là encore, des mécanismes facilitateurs portés par les collectivités (un hébergement par exemple), ou des mécanismes conventionnels, pourraient favoriser la venue prolongée de remplaçants sur des bassins de vie ruraux.
Proposer des solutions qui s’appuient sur des données probantes
Sur les sujets liés aux difficultés d’accès aux soins, à la démographie médicale et aux zones sous-denses françaises, les propositions de solutions répondent trop souvent, et de manière hâtive, en s’appuyant sur des idées non évaluées, des opinions non validées ou des erreurs qui se voient reproduites. De trop rares propositions s’appuient sur des données probantes.
Charge aux décideurs de se rapprocher du monde académique pour s’emparer des données issues du terrain, en concertation avec les acteurs professionnels et les usagers, qui ont été validées selon une démarche scientifique rigoureuse.
Cet article a été coécrit par Julien Poimbœuf et Anthony Chapron, à partir de leur publication dans BMC Med Educ 2023 co-écrite avec Perrine Nedelec, Laurelie Beviere et Maxime Esvan.
Julien Poimboeuf, Médecin, chercheur, Université de Rennes 1 - Université de Rennes et Anthony Chapron, Médecin Généraliste, Maître de Conférences des Universités Directeur du Département de Médecine Générale - Université de Rennes, Université de Rennes 1 - Université de Rennes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.