LeSocial Emploi Prepa Doc Formateque

EDUCATION

Comment prévenir et répondre au racisme en milieu scolaire

En octobre 2025, un collège de Guyane s’est retrouvé au cœur d’une polémique à la suite de propos racistes entre élèves survenus au mois de juin précédent. L’incident a débuté lorsqu’un élève traité de « sale Blanc » a répliqué : « Les Noirs devraient retourner dans les champs de coton. » Tous les élèves impliqués ont été sanctionnés par une lettre de réflexion.

L’affaire a pris une tout autre ampleur lorsque les parents du garçon blanc, policiers, ont contesté la punition, estimant que leur fils était victime. Ils ont déposé plainte contre la principale du collège, qui a été entendue par la gendarmerie. Cette attitude des parents a mis sous les feux de l’actualité les propos racistes tenus quatre mois auparavant et dont le grand public n’avait jusqu’alors pas eu connaissance, ce qui a déclenché une vague de protestations. La médiatisation a mobilisé des syndicats, des élus et des associations, qui ont dénoncé un abus de pouvoir des forces de l’ordre.

Cet incident nous invite à interroger les moyens à disposition des enseignants pour réagir dans ce type de situation. Comment prévenir et répondre au racisme en milieu scolaire ? Que nous dit la recherche de l’efficacité des mesures en place ?

L’héritage historique et la faillite pédagogique

La Guyane a été une colonie esclavagiste jusqu’en 1848. L’esclavage y a laissé des séquelles profondes dans la structuration de la société. Les autochtones colonisés et les descendants d’esclaves (affranchis ou marrons) y subissent encore les stigmates de cette histoire.

Notre recherche menée en 2010 en Guyane a déjà souligné les difficultés à lutter contre le racisme en milieu scolaire. En effet, historiquement, les institutions scolaires, et une partie des sciences sociales, ont longtemps promu l’idée que l’école, en tant qu’espace fondé sur les principes universalistes et égalitaires, était naturellement « préservée du racisme et de la discrimination ». Cette représentation du mythe républicain a conduit à un domaine longtemps sous-examiné par la recherche.

Aujourd’hui, la réponse institutionnelle française s’articule autour de l’éducation civique et de la prévention. L’article L311-4 du Code de l’éducation insiste sur l’acquisition du « respect de la personne, de ses origines et de ses différences » au travers de l’enseignement moral et civique (EMC). Les dispositifs, souvent ponctuels et facultatifs, reposent sur des événements comme la « semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme » ou des partenariats portés par des enseignants volontaires, avec le défenseur des droits et le plan national de lutte de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) qui vise à « quantifier, prévenir, former, mais aussi [à] sanctionner » les actes de haine et leurs auteurs.

Pour certains chercheurs, cet antiracisme institutionnel vise surtout à produire l’adhésion aux « valeurs de la République » plutôt qu’à fournir aux personnes subissant le racisme les outils pour se défendre et déconstruire les systèmes d’oppression. On préfère parler des valeurs plutôt que de nommer la race et les systèmes.

Pourtant, la « charge raciale » est aussi lourde dans les Outre-mer que dans l’Hexagone.

« Que ce soit au travail, dans les relations intimes ou dans le débat public, les personnes non blanches doivent trouver des issues pour désamorcer certaines situations tout en endurant des assignations raciales et des clichés. »

Des discours qui masquent la reproduction des inégalités

L’institution doit traiter les propos racistes non comme des épiphénomènes, mais comme des atteintes au cadre de vie. L’idée que la place des Noirs est « dans des champs de coton » relève de la hiérarchisation raciale. Des parents blancs se sentent autorisés à abuser de leur pouvoir. C’est ce white privilege qui concentre des avantages sociaux, institutionnels et symboliques – dont les personnes racisées « blanches » bénéficient dans des sociétés où la blanchité est normée – souvent invisibles pour celles qui en bénéficient.

La blanchité est analysée comme forme de norme et de pouvoir. Ainsi, les discours de « méconnaissance » ou de « color-blindness » masquent la reproduction des inégalités, ce qui maintient le privilège blanc sans recours à un racisme explicitement hostile.

L’attention portée aux agressions spectaculaires occulte les micro-agressions quotidiennes subies par les personnes racisées. Celles-ci se manifestent à travers des remarques sur l’intelligence, l’ardeur au travail, la texture de la chevelure des personnes racisées, ou lorsque des Blancs affirment « ne pas être racistes parce qu’ils ont vécu en Outre-mer ou en Afrique » (l’amalgame est fréquent), ou bien qu’ils ont un conjoint non blanc ou un enfant métis, ou encore lorsqu’ils minimisent le racisme, réduit à un « défaut humain » ou à l’attitude d’une minorité « mal éduquée ».

S’arroger la voix des personnes racisées en parlant à leur place est un privilège. Cela contribue à leur oppression, notamment lorsque ceux qui jouissent de cette faveur refusent de remettre en question leurs propres avantages.

Les travaux récents en sociologie démontrent que le racisme scolaire est profondément ancré et souvent lié à des facteurs systémiques. Les enquêtes mettent en évidence que l’expérience du racisme est souvent renforcée par le milieu social. Ces discriminations, fondées sur les préjugés et les stéréotypes, se traduisent par des « coûts de la racisation » pour les élèves concernés, qui développent des stratégies de résistance ou d’adaptation.

L’apport de la recherche

Un enjeu majeur des recherches actuelles concerne l’efficacité des méthodes pédagogiques.

Les formations à la lutte contre les préjugés et la promotion du « vivre-ensemble » sont largement diffusées via les rectorats, mais leur efficacité mesurée reste limitée si elles ne s’inscrivent pas dans la durée. De plus, le rapport de la commission nationale consultative des droits de l’homme CNCDH souligne un manque de pilotage local, une hétérogénéité de la mise en œuvre, une insuffisance de suivi statistique des incidents à caractère raciste dans les établissements, peu d’évaluations quantitatives des programmes existants et un manque de coordination entre chercheurs, institutions et terrain scolaire.

De même, des études récentes montrent des risques de reproduction des biais raciaux si les dispositifs ne sont pas équitablement appliqués.

Les chercheurs analysent que l’approche dominante – qui tend à éviter de nommer la « race » et la « racialisation » par attachement à l’idéal universaliste – conduit à traiter le racisme comme un simple manquement moral, masquant ses dimensions systémiques.

Le défi actuel est de passer d’un antiracisme moralisateur (une lettre de réflexion) à une pédagogie antiraciste critique.

Inspirée de travaux étrangers, cette pédagogie propose de nommer la race et la racisation comme concepts sociaux (et non biologiques) pour analyser les systèmes de domination. D’intégrer l’antiracisme au curriculum entier, et pas juste à l’enseignement moral et civique. De développer l’« empowerment » des élèves et des parents des groupes minorisés, en leur donnant une voix et une capacité d’agir et d’associer l’histoire (comme l’esclavage) à une approche systémique pour déconstruire les a priori racistes.

Ces travaux témoignent d’une évolution de la recherche, qui passe de la reconnaissance du problème à la discussion des outils et des cadres théoriques les plus efficaces pour une lutte antiraciste en profondeur. Les études internationales montrent des résultats prometteurs. Elles visent la réparation plutôt que la punition, par l’organisation de conversations et de conférences restauratives, par la diminution des sanctions disciplinaires en vue d’augmenter la performance académique et de réduire les inégalités raciales, culturelles et économiques.

Ainsi, la lutte contre le racisme en milieu scolaire ne peut se limiter à des interventions ponctuelles ou moralisatrices. Elle requiert une approche systémique articulant justice, éducation, accompagnement psychologique et gouvernance institutionnelle, qui peut réduire durablement les discriminations.

Isabelle Hidair-Krivsky, Anthropologue, maître de conférences habilitée à diriger des recherches, Université de Guyane

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Le Social est édité par la société Social Connexion. Son équipe propose des services en ligne depuis plus de 25 ans dans le domaine du secteur social et du médico-social.