Faut-il réduire le nombre d’élèves par classe ? La question revient régulièrement sous les feux de l’actualité. Les syndicats enseignants le demandent. Depuis 2017, le ministère de l’Éducation nationale en a fait l’une de ses priorités, à travers le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaire.
On considère souvent que des effectifs moindres permettent une ambiance de travail plus sereine et un suivi plus personnalisé des élèves, l’enseignant ayant plus de temps à consacrer à chacun. Mais cela conduit-il vraiment à de meilleurs apprentissages ? Quel est le coût d’une telle mesure en regard de son efficacité ? Faut-il la généraliser ou la réserver à certains contextes ?
Un environnement complexe
En quatrième année de primaire (CM1), la taille moyenne des classes oscillait en 2016 de 19 élèves en Autriche à 27 élèves en Angleterre, d’après l’enquête internationale IEA PIRLS. Avec 25 élèves par classe en moyenne, la France se situait dans les valeurs hautes.
Idem en ce qui concerne les élèves de 15 ans. Dans les pays de l’OCDE, ils évoluent dans des classes d’environ 26 élèves. Le nombre minimum est de 19 élèves en communauté flamande de Belgique et en Finlande, le maximum est de 36 à 37 élèves au Japon et au Mexique. En France, la taille moyenne est de 29 élèves, c’est la valeur la plus haute observée pour les pays européens.
Une dizaine d’années plus tard, la situation a positivement évolué, surtout dans le premier degré. Selon le rapport de l’inspection, suite aux mesures de dédoublement de la grande section de maternelle au CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire REP et REP+ et à la limitation à 24 élèves sur les mêmes niveaux scolaires sur tout le territoire, le nombre moyen d’élèves par classe dans le primaire est passé de 23,2 en 2017 à 21,5 élèves par classe en 2023. Au collège, la situation n’a pas évolué : le nombre moyen d’élèves par classe est resté de 25 élèves de 2013 à 2023, alors que la moyenne OCDE est de 23 élèves.
Beaucoup d’enseignants, de parents, d’élèves pensent que réduire ces effectifs aurait un impact positif sur la réussite scolaire. Mais que disent les recherches à ce propos ? Il en existe principalement deux types : les études dans des classes normales, en milieu naturel, et les études dites expérimentales.
Quand on met simplement en relation les résultats des élèves à leurs tests avec le nombre d’élèves que compte la classe, les conclusions vont à l’opposé de ce que l’on attendrait : dans le primaire il n’y a pas de lien statistique entre taille des classes et résultats, dans le secondaire les résultats sont nettement meilleurs dans les classes plus nombreuses.
Pourquoi ce résultat surprenant ? Tout simplement parce que d’autres critères interfèrent avec la taille des classes. Les classes les plus chargées se situent souvent dans l’enseignement général, dans les établissements réputés et en milieu urbain. Les classes techniques et professionnelles, ainsi que les écoles en REP comptent en général des effectifs plus réduits.
Il faut bien entendu s’abstenir de conclure de cette corrélation que les classes plus nombreuses seraient bénéfiques et qu’il faudrait donc… augmenter la taille des classes. Ces études comportent en effet des biais qui ne permettent pas de conclure sur l’efficacité de la réduction de la taille des classes.
Questions pédagogiques
Dans d’autres études dites « expérimentales », certains élèves vont, pour les besoins de la recherche, être placés dans une classe à effectifs réduits (moins de 17 élèves, par exemple) et leurs résultats seront comparés à ceux de camarades présentant des caractéristiques identiques placés dans une classe « normale », plus nombreuse (plus de 25 élèves par exemple).
Ces études peuvent s’étaler sur quelques mois seulement, sur une année scolaire, voire sur plusieurs. Le principe est d’évaluer si les acquis des élèves placés dans les petites classes évoluent mieux que ceux de leurs camarades évoluant dans des classes plus nombreuses.
Les effets observés sont loin d’être spectaculaires : ils sont modestes, proches de zéro, ou légèrement positifs. Les effets ne se font réellement sentir qu’en dessous d’un seuil très bas, de 15 élèves, voire 10 élèves par classe. Notons au passage que d’autres mesures pédagogiques, comme la pratique de l’évaluation formative, le tutorat ou l’apprentissage coopératif ou le groupement d’élèves par niveau (de manière temporaire et flexible) ont des effets bien plus nets.
L’absence d’effets plus importants s’expliquerait par le fait que certains enseignants continuent à enseigner de manière frontale et peu individualisée devant une classe de moins de 17 élèves, tandis que d’autres ont des pratiques innovantes et différencient leur enseignement dans des classes de 25 élèves.
Des recherches méthodologiquement rigoureuses plus récentes montrent que la réduction de la taille des classes en début de scolarité primaire a des effets significatifs positifs à court et moyen termes, en particulier pour les élèves d’origine défavorisée et pour les élèves plus jeunes. Ceci plaide en faveur de politiques de réduction de la taille des classes ciblant le début de la scolarité, en particulier dans les établissements faisant l’objet de politiques prioritaires ou compensatoires.
Outre le coût élevé de la mesure, dans un contexte où la pénurie d’enseignants qualifiés menace, une politique généralisée de réduction des effectifs de classe ne manquerait pas d’aggraver la pénurie, ce qui aurait des effets désastreux, en particulier pour les enfants des zones dites sensibles, moins attractives pour les enseignants. Bien ciblée (début de scolarité et public défavorisé), une politique de réduction de la taille des classes peut donc avoir une certaine efficacité et réduire les inégalités d’origine sociale, sans grever lourdement le budget de l’éducation nationale. A l’inverse, une politique généralisée de réduction diluerait les effets et serait de nature à accroitre les inégalités sociales.
Conditions de travail
Si la limitation des effectifs de classes ne paraît pas, au vu des résultats de recherche, « la » une solution miracle pour améliorer les apprentissages, pourrait-elle se justifier par d’autres raisons, comme celle d’améliorer les conditions de travail des enseignants ?
Tous les enseignants – c’est compréhensible – sont enclins à préférer une petite classe, en principe plus facile à gérer, avec moins de copies et de devoirs à corriger. Par ailleurs, assurer le bien-être des enseignants ou diminuer le stress, les sorties précoces du métier ou le burn-out sont des objectifs louables pour un système éducatif.
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Toutefois, là aussi, il faut se méfier des évidences. Les recherches qui ont mis en relation la taille des classes et la satisfaction professionnelle des enseignants, que ce soit dans le primaire ou le secondaire, ne montre aucun lien entre les deux phénomènes.
Ce qui occasionne des difficultés aux enseignants, c’est bien plus la proportion d’élèves posant des problèmes de discipline ou de comportements que la taille de la classe en elle-même. Certaines petites classes comportant quelques éléments perturbateurs sont bien plus difficiles à gérer qu’une classe nombreuse et paisible.
À nouveau, comme pour l’amélioration des apprentissages, d’autres approches s’avèrent plus porteuses pour améliorer le bien-être et la satisfaction professionnelle des enseignants qu’une diminution généralisée de la taille des classes. Pour ne prendre qu’un exemple, les enseignants se sentent plus efficaces au travail et retirent davantage de satisfaction de leur métier quand ils collaborent régulièrement avec des collègues.
Dominique Lafontaine, Professeure en sciences de l'éducation, Université de Liège
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.