S’il est une question brûlante, âprement débattue dans le milieu scientifique comme dans le grand public, c’est bien celle relative à l’héritabilité de l’intelligence. Mais de quoi parle-t-on, précisément ?
Tout d’abord, définissons l’intelligence. Selon le psychologue anglais, Charles Spearman, la « capacité cognitive générale » ou intelligence générale (appelée « g ») inclue les intelligences logico-mathématiques, émotionnelles, sociales et artistiques. Cette capacité est un indicateur prédicateur de la santé, et du statut éducatif et professionnel des individus.
Comment la mesure-t-on ? L’intelligence est évaluée à partir d’une batterie de tests de quotient intellectuel (QI) sensés rendre compte de ces différents aspects. C’est ce QI qui va à être utilisé dans les tests génétiques afin de mesurer la contribution génétique décisive à l’intelligence.
Et pourtant, à ce jour, aucun gène n’a été formellement associé au QI, relève le généticien Pierre Roubertoux. Comment comprendre ce paradoxe ?
Héritabilité
Pour progresser dans notre explication, penchons-nous sur le concept d’héritabilité. Selon Thomas J. Bouchard Jr,professeur émérite de psychologie et directeur du Minnesota Center for Twin and Adoption Research à l’université du Minnesota, un comportement est héritable si des facteurs génétiques (par exemple, gènes et régulateurs de l’expression des gènes) expliquent pourquoi ce comportement diffère selon les individus d’une population donnée.
Si l’on détecte que ce comportement est majoritairement partagé par des individus apparentés, on peut postuler un effet des gènes. Dans le cas de l’intelligence générale, mesurable chez ces personnes, cela suggère que des facteurs génétiques interviennent pour déterminer « g », et donc qu’elle est héritable.
Cette héritabilité a aussi été montrée chez de nombreuses espèces d’animaux, où la relation entre la taille du cerveau et de l’intelligence est également discutée. Même si le psychologue de l’université du Minnesota Thomas J. Bouchard Jr relève que la taille du cerveau ne suffit pas uniquement à expliquer l’intelligence, il rapporte dans son article publié dans Behavior Genetics des travaux montrant que le niveau d’innovation était positivement corrélé avec la taille relative entre deux régions associées dans le cerveau chez les oiseaux et les primates. Ainsi il n’exclue pas l’hypothèse de l’existence d’une intelligence générale, qui aurait évoluée avec la complexité du cerveau. L’humain ayant le cerveau le plus complexe du monde vivant, on comprend dès lors pourquoi les modèles de génétique quantitative qui réunissent plusieurs caractères reflètent mieux l’intelligence que d’autres tests.
Tests génétiques
Intéressons-nous maintenant aux tests génétiques. En général, il s’agit de comparer l’ADN de deux populations, l’une saine, l’autre malade, si l’on recherche précisément les causes génétiques d’une maladie. Précision importante : cette technique n’identifie pas les gènes impliqués dans la maladie, mais seulement les variantes génétiques associées à un risque élevé de tomber malade. Ce travail sur les variants revient à chercher un ou des nucléotides (A, T, C, G) différents entre 2 individus, l’un en bonne santé et l’autre non, dans une position donnée de l’ADN.
Dans le cas de l’intelligence, les premiers tests génétiques ont comparé deux populations bien particulières. Il ne s’agissait pas de malades, mais d’un groupe de personnes adoptées d’une part, d’un groupe de vrais jumeaux d’autre part. Les deux ont répondu à des tests de QI. Les résultats, rapportés par Robert Plomin et Ian Deary du King’s College de Londres ont montré une excellente corrélation chez les jumeaux, mais moins bonne chez les enfants adoptés vivant dans la même famille : autrement dit, l’intelligence mesurable était surtout partagée par des personnes génétiquement proches. Mais ces premières études n’ont identifié aucun gène de l’intelligence.
Aujourd’hui avec le développement de nouveaux outils génétiques, l’analyse de l’ADN d’individus non apparentés a permis d’associer un variant d’un gène au phénotype correspondant (tel que le niveau d’intelligence). Ces outils ont l’avantage de prendre en compte le gène lui-même plutôt que des gènes communs à deux populations, et de comparer des centaines d’individus non apparentés plutôt que deux populations d’individus apparentés (par exemple, vrais contre faux jumeaux).
Ainsi l’équipe de D. Posthuma à l’Université libre d’Amsterdam a identifié des variants sur quarante gènes impliqués dans des fonctions cérébrales et des troubles psychiatriques, confirmant que les mêmes facteurs génétiques ont des variations influençant à la fois les pathologies de l’intelligence et l’intelligence normale. Toutefois D. Posthuma et d’autres spécialistes notent que ces pathologies impliquent tant de gènes (environ 300) qu’il serait prématuré de faire un lien direct entre gène et phénotype.
Récemment, une autre approche] a combiné l’analyse de l’ADN et des images par résonance magnétique IRM du cerveau d’adolescents ayant passé des tests de QI. Les travaux de Sylviane Desrivières de l’Institut de Psychiatrie au King’s College de Londres ont permis d’identifier des variants sur le gène dit Nptn, essentiel à la communication entre les neurones. Les résultats de cette étude ont montré que les candidats, qui réussissaient moins bien aux tests de QI, avaient un variant génétique particulier et des couches du cerveau plus fines. Néanmoins, S. Desrivières ne conclut pas pour autant que Nptn est le « gène de l’intelligence ». Il expliquerait seulement en partie les différences dans les capacités intellectuelles des humains.
C’est ici le moment de souligner que les facteurs environnementaux et sociaux, non pris en compte dans les tests génétiques, influencent considérablement l’intelligence. Robert Plomin et Ian Deary du King’s College de Londres ont par exemple montré que l’héritabilité de l’intelligence augmente significativement depuis l’enfance jusque chez le jeune adulte, confirmant l’influence décisive de l’environnement et l’évolution du niveau d’intelligence avec les expériences acquises au cours de notre vie.
Gènes et environnement
Dans un article publié dans The Conversation le neurobiologiste Boris Chaumette explicite le lien entre intelligence et interaction entre gènes et environnement, en se fondant sur l’étude de pathologies du déficit intellectuel résultant d’une perturbation de l’ADN. Dans le cas du syndrome FOXG1, trouble psychiatrique du spectre de l’autisme, l’influence forte de facteurs environnementaux est suspectée comme pour d’autres pathologies de l’intelligence.
Les patients souffrant de déficits intellectuels et du développement portent une mutation entraînant la perte de fonction du gène FOXG1. Nous avons noté que la même mutation se retrouvait chez des patients avec des phénotypes différents, suggérant ainsi l’influence de facteurs extérieurs dans notre environnement capables de modifier l’expression des gènes sans causer de mutation.
En identifiant des variants de gènes, les tests génétiques sont particulièrement pertinents pour améliorer la compréhension des pathologies de déficiences intellectuelles. Par contre, on l’aura compris, trouver des gènes associés aux variations normales de l’intelligence est difficile et demande des investigations plus poussées encore.