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Charge mentale et santé mentale au moment de la maternité

La transition vers la maternité est une période durant laquelle de nombreuses femmes sont confrontées à des problèmes de santé mentale, comme en témoigne le nombre plus élevé de femmes admises dans des institutions psychiatriques au début de la période postnatale qu’à d’autres moments de la vie, et le fait que le suicide est l’une des principales causes de décès maternel dans de nombreux pays, y compris la France. Pendant la période périnatale, marquée par une vulnérabilité psychique importante, jusqu’à 20 % des femmes présenteraient des troubles mentaux tels que l’anxiété et la dépression.

A noter qu’en France, en prévention, les consultations prénatales comme l’entretien prénatal précoce, pendant le suivi de grossesse, sont l’occasion de rechercher des troubles anxieux ou dépressifs chez la future mère.

Par ailleurs, on observe que durant la période périnatale, les changements physiologiques et neurobiologiques du cerveau maternel sont immenses et inégalés par rapport à n’importe quel autre moment de la vie adulte.

Mieux comprendre ce qui impacte la santé mentale maternelle

Dans une publication récente de Nature Mental Health, nous argumentons que pour progresser dans notre compréhension de la santé mentale maternelle, nous devons tenir compte de la multitude de facteurs dans la vie d’une mère qui ont un impact sur sa charge mentale et empiètent sur sa santé mentale et sa neurobiologie afin d’influencer la façon dont elle traverse ce que l’on appelle la matrescence. Une notion que l’on pourrait définir comme « le processus de devenir mère ».

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La matrescence est le seul moment de la vie adulte durant laquelle presque tous les aspects de l’existence d’une femme sont modifiés, de ses processus biologiques à son rôle social. Ces changements liés à la maternité dépassent souvent les frontières socio-démographiques et sont d’autant plus importants que les ressources destinées à soutenir l’éducation des enfants et à réduire le travail domestique sont limitées. Ces difficultés durables et persistantes se rajoutent à d’autres problématiques telles que l’isolement, la pauvreté et le sexisme.

Il est donc essentiel de reconnaître et de comprendre la charge mentale de la maternité afin d’appréhender pleinement l’impact de cette étape de la vie sur la santé mentale des femmes.

La charge mentale des femmes : aux origines de cette notion

Le concept de charge mentale est né dans le domaine de la psychologie dans les années 1950. Mais ce n’est qu’en 1984 que le concept de charge mentale a été utilisé en relation avec la maternité pour décrire les difficultés et le travail invisible que connaissent tant de mères.

En 2017, ce terme a gagné en popularité dans la presse populaire depuis la parution de la bande dessinée d’Emma sur le thème de la charge mentale des femmes. Cependant, très peu de recherches scientifiques, voire aucune, n’ont étudié ce concept de la charge mentale dans le contexte de la maternité.

Plus récemment, Larousse a défini la charge mentale comme « un poids psychologique que fait peser (plus particulièrement sur les femmes) la gestion des tâches domestiques et éducatives, engendrant une fatigue physique et, surtout, psychique ».

Pensée maternelle, travail émotionnel, travail affectif

Au fil des ans, des termes que l’on pourrait traduire en français par « pensée maternelle » (maternal thinking), « travail émotionnel » (emotion work et « travail affectif » (affective labor ont été utilisés pour exprimer et conceptualiser les aspects du travail invisible du maternage. L’expression mommy brain est également souvent utilisée pour décrire l’impact de la charge mentale de la maternité sur le cerveau.

En termes simples, la charge mentale (mental load en anglais) consiste à garder la trace du travail à accomplir tout en gérant les émotions passées, présentes et futures de chaque membre de la famille individuellement et de la famille dans son ensemble ».

Cette tâche incombe principalement aux mères et peut peser lourdement sur leur bien-être mental. D’après l’Insee, en 2010, les femmes effectuaient 71 % des tâches ménagères et 65 % des tâches parentales. Cette inégale répartition des tâches domestiques au détriment des femmes qui perdure a notamment été mise en évidence pendant la pandémie due au Covid-19.

En particulier quand il s’agit d’élever des enfants, des enquêtes suggèrent que les mères continuent d’accomplir davantage de tâches cognitives et émotionnelles. Si on se focalise sur la charge mentale que représente la seule prise en charge de la santé de l’enfant, d’après une enquête du site Doctolib citée par Le Monde, en 2021, 81 % des rendez-vous pris pour un mineur l’ont été par des femmes.

Une enquête OpinionWay pour la plate-forme de téléconsultation Qare suggère également que les femmes sont davantage impliquées dans la gestion de la santé du foyer,des enfants mais aussi de la conjointe ou du conjoint, à la fois en termes de temps et d’argent. Parmi les personnes interrogées dans cette enquête, 67 % des femmes estimaient passer plus de temps que leur conjointe ou leur conjoint à s’occuper de la santé de leur foyer.

Étudier les liens entre charge mentale et cerveau maternel

On le voit, la charge mentale est un concept large et interdisciplinaire qui touche à des facteurs psychologiques, sociologiques et biologiques. Ce terme reflète également les divers facteurs qui influencent ce qu’est une mère dans la société d’aujourd’hui.

Alors qu’un certain nombre de recherches se concentrent sur les changements neurobiologiques ou sociaux qui contribuent à l’anxiété et/ou à la dépression chez les mères, beaucoup moins d’études se sont intéressées à la manière dont ces facteurs sociaux interagissent avec les changements biologiques inhérents à la maternité pour amplifier le risque d’impact négatif pour la mère.

Des recherches récentes suggèrent que des niveaux accrus de charge cognitive chez les mères sont associés à une augmentation de la dépression, du stress, de l’épuisement professionnel… et altèrent la santé mentale globale et la satisfaction relationnelle.

Une multitude de questions demeurent sur la manière dont les différents facteurs qui contribuent à la charge mentale liée à la maternité peuvent avoir un impact sur la santé mentale maternelle et sur le cerveau maternel. Ces facteurs vont du personnel à l’institutionnel, comme les attentes sociales en matière de maternité et l’absence de politiques de congé parental pour les deux parents, qui se surajoutent au sexisme et à la discrimination qui existent dans la société actuelle.

Nous proposons donc que la science aille au-delà de lignes d’enquête distinctes pour explorer les interactions entre les expériences des mères à de nombreux niveaux - personnel, familial, institutionnel et sociétal - et la façon dont ces expériences, ensemble, ont un impact sur la santé cérébrale et mentale de la mère.

En explorant les multiples dimensions qui influencent la charge mentale de la maternité, nous pouvons acquérir des connaissances plus précises sur les facteurs, ou les combinaisons de facteurs, qui ont un impact significatif sur le cerveau maternel et les résultats en matière de santé mentale. En fin de compte, cette approche de la recherche future débouchera sur des interventions cliniques efficaces et significatives et conduira à des changements politiques.

Il est temps de saisir la complexité de la charge mentale de la maternité et de fournir des données sur ce que la majorité des mères vivent.

Jodi Pawluski, Affiliated Researcher

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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