Le cadre légal de l’avortement a progressivement été assoupli depuis la loi Veil. En 1975, l’IVG ne pouvait être pratiquée que par un médecin en établissement de santé et par la méthode chirurgicale. Mais depuis 1988, la méthode médicamenteuse a été mise sur le marché : elle est d’abord administrée en établissement de santé puis, à partir des années 2000, en cabinet médical, en centre de santé ou en centre de santé sexuelle (anciennement nommé centre de planification et d’éducation familiale, CPEF). Les médecins peuvent y réaliser des IVG médicamenteuses jusqu’à la fin de la 5e semaine de grossesse.
Depuis 2016, les IVG chirurgicales peuvent aussi être pratiquées en centre de santé et les sages-femmes sont habilitées à réaliser des IVG médicamenteuses. Aussi, dans le cadre de la crise sanitaire de 2020, le délai pour administrer une IVG médicamenteuse a été allongé à 7 semaines de grossesse et la téléconsultation a été autorisée. Enfin, en 2022, la loi Gaillot a porté le délai légal de l’IVG à 14 semaines et a autorisé les sages-femmes à pratiquer des IVG chirurgicales.
Comment sont mis en application ces nouveaux assouplissements légaux sur le territoire ?
Une récente augmentation des IVG
Avec la diffusion de la contraception, le nombre d’avortements a d’abord diminué jusqu’au début des années 1990, puis a oscillé autour de 220 000 par an pendant 30 ans. Il augmente sensiblement depuis les années 2020, pour atteindre près de 241 700 IVG en 2023. Au fil des trois dernières décennies, on comptait environ 1 IVG pour 4 naissances, ce ratio avoisine 1 IVG pour 3 naissances en 2023. Ainsi, à nombre de grossesses égal, la décision d’interrompre la grossesse est plus fréquente.
En 2023, une IVG sur cinq est réalisée par méthode chirurgicale (contre le double 10 ans avant), le plus souvent sous anesthésie générale (dans 70 % des cas). Les quatre autres IVG sont médicamenteuses. Au fil des ans, la part des IVG médicamenteuses réalisées hors établissement de santé a fortement augmenté jusqu’à concerner la moitié de ces IVG, tandis que la part de celles réalisées en établissement de santé, assez stable jusqu’en 2019, baisse notamment depuis la crise sanitaire de 2020 (figure 1).
Figure 1. Évolution des IVG selon la méthode et le lieu de prise en charge, 2014-2023 (%)

Avec la généralisation de la méthode médicamenteuse, le monopole d’un seul laboratoire pharmaceutique privé (Nordic Pharma) soulève des questions quant aux risques de pénurie, de problèmes d’approvisionnement et de pression sur les prix des comprimés abortifs. Ce monopole pourrait entraver l’accès à l’avortement.
Malgré une prise en charge de plus en plus importante hors établissement, l’hôpital public reste le principal lieu où sont pratiquées les IVG tandis que les établissements privés ont quasiment abandonné la prise en charge.
Le taux de recours à l’IVG varie beaucoup selon le département
Au niveau national, en 2023, pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans, près de 17 IVG ont été réalisées (16 en France hexagonale). Toutefois, ce taux de recours est très variable selon les départements (figure 2).
Figure 2. Taux de recours à l’IVG, pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans, selon le département de résidence, 2023 ( ‰)
Les proportions des trois types d’IVG (selon le lieu et la méthode) variaient déjà fortement entre les départements en 2014 (figure 3) et ont évolué de manière hétérogène.
Figure 3. Répartition des IVG par méthode et lieu, selon le département de résidence, en 2014 et 2023 (%)
La part des IVG médicamenteuses hors établissement de santé a donc continué d’augmenter dans les départements où cette méthode était déjà bien développée en 2014 (à l’exception des Hautes-Alpes et de l’Ardèche), tout particulièrement dans les départements et régions d’outre-mer et en Corse. Le recours à ce type d’IVG reste toutefois très inégal : en 2023, la proportion variait entre 4 % et 81 % selon les départements.
La méthode chirurgicale en établissement de santé a, quant à elle, reculé dans la quasi-totalité du territoire. Toutefois, elle concerne en 2023 encore 40 % à 49 % des IVG en Maine-et-Loire, Loire-Atlantique, Loir-et-Cher et Indre-et-Loire.
Enfin, la méthode médicamenteuse en établissement de santé a conservé ou pris une place prépondérante dans plusieurs territoires ou a, au contraire, perdu du terrain dans d’autres.
Ces différences territoriales semblent liées à des pratiques variables du fait de normes de santé sexuelle et reproductive et de cultures médicales locales différenciées. Elles peuvent suggérer des difficultés d’accès et/ou une limitation du choix du type d’IVG selon le maillage médical existant : présence d’infrastructures de santé (moindre notamment en milieu rural), qualité des réseaux entre les établissements de santé et les autres acteurs pratiquant des IVG, etc.
On notera que les sages-femmes ont réalisé plus de 45 000 IVG médicamenteuses en 2023, soit près de 20 % de l’ensemble des IVG et 46 % de celles pratiquées hors établissement. Cette possibilité de prise en charge par les sages-femmes est toutefois polarisée, avec 21 départements où elles ont pratiqué plus des trois quarts des IVG réalisées hors établissement et 21 autres où elles en ont réalisé moins du tiers. L’élargissement du champ de compétences des sages-femmes (suivi gynécologique depuis 2009, IVG médicamenteuses depuis 2016 et IVG chirurgicales depuis 2022) les replace parmi les professionnels en charge du travail abortif, autrefois réservé aux médecins.
Cinquante ans après la loi Veil, les modalités de recours à l’IVG ont donc changé : la méthode médicamenteuse est devenue largement majoritaire ainsi que la prise en charge des IVG hors établissement de santé, qui a particulièrement crû depuis la crise sanitaire. Le cadre légal français de l’IVG permet une pluralité de lieux, de professionnels et de méthodes selon la durée de grossesse. Cette pluralité de l’offre est toutefois hétérogène sur le territoire, contraignant les modalités, les conditions et, par extension, la possibilité de choisir la manière d’interrompre une grossesse.
Dans un contexte où le droit et l’accès à l’avortement reculent dans de nombreux pays, l’inscription de la « liberté garantie à la femme » de recourir à l’IVG dans la Constitution en 2024 revêt assurément une forte portée symbolique. Cependant, le flou de la notion de « liberté garantie » et la responsabilité laissée au législateur d’en établir les conditions ne permettent de garantir ni le contenu de la loi et ni son effectivité sur le terrain.
Au-delà du cadre légal, les modalités d’accès peuvent être contraintes par d’autres facteurs comme les difficultés d’approvisionnement en comprimés abortifs et la clause de conscience des praticiens. L’accès peut à l’inverse être facilité par un maillage large et pérenne de l’offre abortive, par une bonne articulation entre l’hôpital et les autres acteurs, et une garantie de choix de la méthode.
Ce texte est adapté d’un article publié par les autrices dans Population et Sociétés, « L’avortement 50 ans après la loi Veil : un recours et des méthodes qui varient sur le territoire ».
Justine Chaput, Doctorante en démographie, Ined (Institut national d'études démographiques); Elodie Baril, Ingénieure d'études statistiques et Magali Mazuy, Chargée de Recherches (démographie et sociologie), travaux sur les questions de genre, violences, santé sexuelle et reproductive. Responsable des statistiques d'IVG, Ined (Institut national d'études démographiques)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.