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Droit à l’oubli après un cancer pour faire un crédit : une avancée législative qui fait une différence

Et si survivre à un cancer ne suffisait pas à tourner la page ? En France, depuis 2016, le « droit à l’oubli » (par l’article 190 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) permet aux personnes guéries d’un cancer de ne plus mentionner leur maladie lors d’une demande de crédit et d’assurance emprunteur. Cette loi, pionnière en Europe, visait à lutter contre une discrimination financière invisible mais tenace : la difficulté d’accès au crédit pour cause d’antécédent de cancer.

Nous avons mené une étude inédite baptisée ELOCAN qui vient d’en évaluer les effets chez des personnes traitées pour un cancer du sein ou pour différents types de cancers durant l’enfance.

Ses résultats montrent que, si la probabilité de rencontrer des difficultés a significativement baissé, notamment chez les anciens malades du cancer de l’enfant, il restait des freins pour les personnes traitées pour un cancer du sein. La promesse d’effacer le passé médical se heurte parfois à la complexité des situations individuelles et au temps nécessaire pour pouvoir bénéficier du « droit à l’oubli ».

Source : Sorbonne Université (image cliquable).

Pour les anciens malades, des difficultés à obtenir un crédit immobilier

D’après les données de l’Institut national du cancer (INCa), 3,8 millions de personnes en France métropolitaine ont eu un diagnostic de cancer au cours de leur vie. En 2023, plus de 61 000 femmes ont été concernées par un cancer du sein, avec un taux de survie supérieur à de nombreux autres cancers, atteignant 88 % à cinq ans sur la période 2010-2015. Les cancers de l’enfant sont plus rares, avec moins de 2 000 cas par an chez les moins de 15 ans, mais sont comparables en termes de pronostic, le taux de survie à cinq ans étant passé à 85 % sur la période 2010-2016. Ces taux importants de survie soulèvent de nouvelles problématiques.

L’accès au crédit, qui concerne particulièrement les jeunes anciens malades du cancer, est un enjeu important car il peut considérablement influencer les conditions de vie matérielles et donc le bien-être. D’après l’enquête « Histoire de vie et patrimoine » de l’Insee, un ménage sur deux est concerné par une demande de crédit en France. Le crédit immobilier, à lui seul, concerne un Français sur trois, et jusqu’à cinq sur dix parmi les 30-49 ans. Or, pour les anciens malades, l’accès au crédit est difficile en raison de la demande de souscription à une assurance emprunteur parfois inaccessible.

En effet, en raison du risque de récidive ou des effets à long terme des traitements du cancer, les compagnies d’assurance peuvent hésiter à assurer les prêts en appliquant des primes plus élevées, en excluant certains types de garanties telles qu’un nouveau cancer, ou même en refusant d’assurer la personne.

Le cancer peut donc engendrer des inégalités sociales, en particulier dans les pays comme la France où l’accès à une assurance emprunteur est une condition préalable à l’obtention d’un crédit pour acheter un logement, ce qui limite la capacité des anciens malades à accéder à la propriété.

Dans l’enquête française Vican sur les conditions de vie après un cancer de l’adulte, 17 % des personnes ont tenté d’obtenir un crédit immobilier ou professionnel dans les cinq ans suivant le diagnostic. Dans une étude fondée sur une cohorte d’adultes guéris d’un cancer pédiatrique, 31 % des répondants ont déclaré avoir rencontré des difficultés au cours de leur vie pour accéder à une assurance emprunteur pour un crédit immobilier après leur cancer. Ces difficultés étaient d’abord liées au fait d’avoir déclaré le cancer à l’assureur, et assez peu à l’état de santé des personnes concernées.

Ne pas avoir à déclarer son antécédent de cancer cinq ans après

Adopté en 2016, le droit à l’oubli a permis aux anciens malades de ne pas déclarer l’antécédent de cancer après un certain délai (cinq ans pour les cancers survenus avant l’âge de 21 ans, dix ans pour les cancers survenus après). Un accès sans surprime ou avec une surprime plafonnée est possible avant cela dans certains cas qui sont détaillés dans les grilles de référence adoptées par la convention « s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé », dite convention Aeras.

En 2022, la loi Lemoine (loi n°2022-270 du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur) a réduit à cinq ans le délai du droit à l’oubli, quel que soit l’âge au diagnostic. Cette loi a également supprimé les questionnaires de santé pour certains crédits.

Quels effets du droit à l’oubli pour accéder à l’assurance emprunteur ?

L’étude ELOCAN avait pour objectif d’évaluer les effets du droit à l’oubli sur la réduction des difficultés rencontrées par les anciens malades du cancer vis-à-vis de l’accès à l’assurance emprunteur. Les difficultés étaient définies comme le fait de payer une surprime, d’avoir des exclusions de garanties, ou de se voir refuser toute proposition d’assurance par un assureur.

Pour cela, nous avons sollicité la participation d’anciens malades traités pour un cancer pédiatrique ou pour un cancer du sein ainsi que des personnes (des « témoins ») sans antécédent de cancer. Les participants ont été principalement mobilisés au travers de la plateforme des Seintinelles et de la cohorte FCCSS.

Les difficultés d’accès à l’assurance emprunteur signalées par les anciens malades et les témoins avant et après l’adoption du droit à l’oubli ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire en ligne et comparées entre les groupes (en suivant la méthode d’une étude contrôlée « avant-après »). Les groupes ont été rendus comparables (« appariés ») à l’aide d’un score basé sur la proximité des participants en termes d’âge, de sexe, de montant du capital assuré et de variables se rapportant à l’état de santé (comorbidités, tabagisme, surpoids). Le recueil de données s’est arrêté en 2022 et celles-ci ne prennent donc pas en compte les évolutions de la loi Lemoine.

Des difficultés d’accès au crédit qui persistent après un cancer du sein

Les résultats montrent que la probabilité d’avoir des difficultés à obtenir un prêt a diminué de manière significative après l’adoption du droit à l’oubli. Sur 552 répondants appariés, des difficultés d’accès à l’assurance liée au prêt ont été signalées par 65 % des cas contre 16 % des témoins avant le droit à l’oubli et par 35 % des cas contre 15 % des témoins après le droit à l’oubli. Ces différences étaient significatives sur le plan statistique quand l’ensemble des participants étaient inclus.

Mais, quand les analyses faisaient la différence par type de cancer, on observe que les résultats n’étaient pas significatifs pour la sous-population des personnes traitées à l’âge adulte pour un cancer du sein, même si on observait une réduction importante de difficultés rapportées avant et après la loi. Les résultats détaillés de cette étude financée par l’Institut national du cancer (INCa_15900) sont disponibles en accès gratuit ici.

En conclusion, cinq ans après la mise en place du droit à l’oubli, on observe une diminution significative de la proportion d’anciens malades du cancer rencontrant des difficultés. Cependant, des obstacles demeuraient dans le recours à ce droit, en particulier pour les personnes traitées à l’âge l’adulte qui devaient plus souvent attendre dix ans avant de pouvoir en bénéficier. En effet, les femmes ayant eu un cancer du sein infiltrant devaient le plus souvent attendre dix ans après la fin des traitements, ce délai ayant été réduit à sept ans à partir de 2019 pour certains types de cancers du sein (les cancers dits de « Stade I »).

La nouvelle loi Lemoine, dans laquelle le droit à l’oubli a été réduit pour tous les cancers à cinq ans après la fin des traitements, et qui prévoit la suppression des questionnaires de santé dans certaines conditions, représente une avancée majeure. De plus, la convention Aeras continue de publier des grilles de référence permettant la prise en compte des avancées médicales.

En 2024, huit autres pays européens (Belgique, Chypre, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Slovénie) avaient adopté ou mis en œuvre une législation inspirée du droit à l’oubli français. Plusieurs associations de patients en Europe ont appelé à une extension du droit à l’oubli à l’ensemble des pays européens.


Vous trouverez plus d’informations sur l’étude ELOCAN sur son site.

Ce travail de recherche a été mené avec la collaboration de Morgane Michel, Aurélie Bourmaud, Moreno Ursino, Asmaa Janah, Tienhan Sandrine Dabakuyo Yonli, Emerline Assogba, Nadia Haddy, Florent De Vathaire.

Agnès Dumas, Researcher in sociology, Inserm; Hugo Jeanningros, Maître de conférences en sociologie, Université de Technologie de Troyes (UTT); Nicolas Bougas, Épidémiologiste, Université Paris Cité et Renaud Debailly, Maître de conférences en sociologie, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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