Au cours des dernières décennies, les termes pour désigner les membres actifs de causes ou organisations ont changé. Le « bénévole » – qui renvoyait plutôt à l’action charitable, ou de solidarité, d’usage dans une partie du secteur associatif, a de plus en plus remplacé dans les discours courants le « militant » de connotation plutôt syndicale ou politique. Et, plus récemment encore, sans doute par emprunt au vocabulaire anglophone, « activiste » a tendance à être identifié à « militant ».
Dans tous les cas, ces noms communs renvoient aux membres actifs de groupements, qu’ils soient organisés dans la durée (associations, syndicats, partis) ou de manière plus ponctuelle.
Précisons qu’au plan pratique et administratif, le bénévole – contrairement au professionnel (dit aussi « permanent ») – ne reçoit pas de rémunération en échange de son activité, du moins pas de rémunération salariale, monétaire.
Néanmoins, on ne saurait sous-estimer « la rétribution symbolique » que procure l’engagement des acteurs, comme le rappelle le sociologue Daniel Gaxie. La reconnaissance par ses pairs, par les interlocuteurs institutionnels peut même être considérée comme un investissement – l’on retrouve ici un vocabulaire économique – qui portera ses fruits ultérieurement.
Il peut être valorisé dans un CV en cas de recherche d’emploi, mais évidemment pas pour tous les engagements. Avoir été membre d’un bureau des élèves, d’une association de promotion de sa filière, d’une mutuelle, constitue des expériences et des compétences valorisables auprès d’un employeur, alors qu’il vaut parfois mieux cacher un engagement de type syndical.
Différents types d’associations
En s’appuyant sur les chiffres extrêmement faibles, de l’ordre de 10 % à 15 %, de participation aux élections des CROUS qui gèrent cités, restaurants et bourses, des observateurs en concluent à la « dépolitisation », des étudiants, à leur désintérêt vis-à-vis de la chose publique, en dehors de mobilisations conjoncturelles, comme celles concernant le climat.
Pourtant, les chiffres issus des diverses enquêtes réalisées pour l’Observatoire de la vie étudiante ou d’autres organismes démentent ce préjugé. Claire Thoury nous indique pour la période 2000-2013 une augmentation de la part d’étudiants se déclarant membres d’une association étudiante, chiffre qui passe de 12,0 % à 26,7 %, tandis que la part d’étudiants se déclarant membres d’un syndicat étudiant demeure quasiment identique (2,6 à 2,8 %).
Notons qu’il est difficile de distinguer « l’associatif » du « syndical » en milieu étudiant, dans la mesure où ils ne bénéficient pas d’un droit syndical. En effet, les organisations – même celles qui s’affirment syndicales, sont juridiquement placées sous le régime des associations. La FAGE, cette organisation qui se veut représentative dans son action syndicale, est notamment composée, à la base, d’associations.
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Dans notre rapport de 2010, nous distinguions les associations de « défense des intérêts » (fonction représentative et syndicale), les associations étudiantes constituées autour d’un objet précis, et les engagements à l’extérieur des universités. Car l’engagement des étudiants ne se fait pas que dans le cadre universitaire. Un nombre important d’entre eux sont membres d’associations non exclusivement étudiantes. Il s’agit des associations sportives, des organismes de solidarité tels le Secours populaire ou le Secours catholique, des associations antiracistes, de défense des droits humains, environnementale, de mouvements politiques, etc.
Pour Valérie Becquet, ce qui distingue les associations extérieures aux établissements et celles sises en leur sein, c’est la place de l’étudiant dans le fonctionnement et la population qu’il côtoie. Être un « bénévole parmi les étudiants » et être un « bénévole parmi les autres » n’a pas tout à fait le même sens ni les mêmes effets.
C’est ainsi que Guillaume Houzel avait quant à lui décelé trois postures d’étudiants engagés : « le représentant », qui correspondrait au « syndical », « l’intervenant » s’intéressant au concret, l’humanitaire par exemple, et « l’entreprenant » intéressé plutôt par un objet précis d’initiatives. En 2004, à la journée « engagements bénévoles des étudiants » organisée par l’OVE à Rouen, Guillaume Houzel indique qu’environ 50 % des étudiants adhèrent à une association.
L’Université, lieu légitime de citoyenneté ?
Le désinvestissement relatif dans l’environnement de travail se révèle également au niveau de la participation électorale. Si la participation aux élections étudiantes est très faible, paradoxalement la participation aux élections politiques est bien plus importante, comme en atteste la participation aux élections présidentielles de 2022, où 67 % des 18-24 ans ont voté aux deux tours, cette participation étant plus importante encore chez les étudiants qui sont au croisement des catégories « jeunes » et « diplômées ».
La question que l’on peut se poser dès lors est celle de la légitimité aux yeux des étudiants eux-mêmes de leur action dans l’Université. Après tout, ils n’y restent que peu de temps, quelques années à peine. Face à la complexité des problèmes dans une telle institution, il pourrait leur sembler plus simple et à portée de main de s’engager sur des terrains plus concrets, avec des résultats immédiats.
Cependant, le rôle de l’engagement bénévole, même en d’autres termes, et plus largement d’œuvres collectives étudiantes, était d’ores et déjà souligné comme outil de socialisation par le sociologue Émile Durkheim qui expliquait en 1918, dans une histoire de l’université de Paris : « Ces masses énormes de jeunes gens ne peuvent rester à l’état inorganique ». Pour que l’étudiant « ne se sente pas perdu dans la foule anonyme », de « multiples groupes se sont créés pour cela », comme « l’Association générale des étudiants de Paris qui a pour rôle de défendre les intérêts communs ».
Enfin, l’engagement bénévole peut aussi être converti en bénéfice immédiat à une échelle individuelle, puisque les dispositifs de reconnaissance académique de l’engagement permettent aux bénévoles, aux militants, d’obtenir des unités d’enseignement qui comptent pour l’obtention du diplôme. C’est ce que développe et précise la thèse de Julie Testi, autour de la « reconnaissance pédagogique des engagements bénévoles et militants ».
Robi Morder, Chercheur Associé au Laboratoire Printemps, UVSQ/Paris-Saclay, président du Groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.