Dans le secteur médico-social, les mutations économiques, les évolutions sociétales, les réformes successives, les injonctions paradoxales, les stratégies de rationalisation des coûts, la crise sanitaire actuelle du Covid-19, l’émergence de structures organisationnelles mécanistes (travail prescrit, règles et procédures, etc.) et la montée de l’individualisme font évoluer les termes de la relation managériale, qui lie un salarié à son manager.
En effet, les professionnels de ce secteur expriment des attentes relationnelles et organisationnelles fortes envers leurs supérieurs hiérarchiques, comme nous l’avons montré dans un récent article de recherche. Cette qualité de la relation influe non seulement sur le comportement et la santé au travail du salarié, mais aussi sur sa volonté de rester membre de son organisation. L’enjeu est aujourd’hui d’autant plus essentiel que les Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), ou encore les établissements accueillant des personnes en situation de handicap, éprouvent des difficultés à recruter et à fidéliser les collaborateurs.
Mais comment bâtir cette nouvelle relation ? Les entretiens que nous avons réalisés avec une cinquantaine de managers (directeurs d’établissements et cadres intermédiaires) et des opérationnels (soignants, éducateurs, etc.) permettent d’en dresser les contours à dégager des pistes d’action pour améliorer les rapports.
« Quelqu’un qui sait nous écouter »
Dans le cadre de la relation avec son supérieur, le salarié formule implicitement ou explicitement des attentes (matérielles, relationnelles, etc.), perçoit des promesses et essaie de déterminer les obligations de son manager envers lui. La qualité de la relation managériale dépend donc de la manière dont le managé perçoit la réalisation des termes de cette relation (attentes, promesses, obligations) par son supérieur.
La communication interpersonnelle joue donc un rôle essentiel dans l’entretien et le développement de la relation managériale. Une aide-soignante, explique par exemple, qu’elle souhaite sur son supérieur soit :
« Quelqu’un qui est proche de nous, qui sait nous écouter quand on dit quelque chose. »
D’après nos entretiens menés, les salariés opérationnels attendent plus largement de leurs managers qu’ils dialoguent avec empathie, qu’ils reconnaissent le travail de chacun ou encore qu’ils valorisent la prise d’initiative et la créativité. Ils demandent également des efforts dans l’accueil et l’intégration des nouveaux salariés, que le rôle de chacun soit clairement défini pour éviter les conflits, ou encore que le matériel nécessaire pour bien travailler soit disponible.
Les résultats des entretiens montrent aussi que les managers des équipes opérationnelles, qu’ils soient directeurs d’établissement ou cadres intermédiaires (chefs de service, infirmiers coordinateurs…), tout comme leurs collaborateurs, attendent de leurs supérieurs (directeurs régionaux…) de la communication, de l’écoute, de l’empathie, de la confiance et du soutien social et technique.
Toutefois, ces mêmes managers, se trouvant entre le marteau et l’enclume, notent l’altération de la relation non seulement avec leurs supérieurs (liée notamment à un déficit de dialogue et à un manque de soutien), mais aussi avec leurs « subordonnées ». Un cadre intermédiaire déplore ainsi les conséquences du peu d’autonomie dont il dispose pour mettre en place une organisation du travail adaptée :
« Les journées s’enchaînent et il y a une perte progressive du sens et des repères. Au bout d’un moment, on devient clairement un simple exécutant. »
Cette position inconfortable peut même conduire certains managers à éviter d’entrer en contact direct avec leurs collaborateurs ou de gérer les conflits, car ils ne détiennent que peu de pouvoir sur des situations qui nécessitent des moyens financiers ou des compétences managériales ou relationnelles qu’ils ne possèdent pas. La confrontation avec leurs collaborateurs risque alors de les déstabiliser.
Des compétences plus que techniques
Pour pouvoir déterminer les termes de la relation managériale, prévenir sa dégradation ou tenter de la réparer le cas échéant, le manager et le managé sont donc invités à multiplier les échanges et les interactions. En effet, des échanges formels (entretien annuel par exemple) et informels (discussions autour de la machine à café) s’avèrent essentiels pour clarifier les termes de la relation managériale (attentes, promesses et obligations perçues) et ses évolutions (les attentes de l’individu évoluent avec le temps suite à des changements individuels ou organisationnels).
Pour le supérieur, des échanges réguliers lui permettent de fournir à son collaborateur des informations concernant l’évolution du contexte ou sa difficulté de respecter certains termes de leur relation. En effet, le supérieur ne peut pas satisfaire tous les besoins de ses collaborateurs, mais néanmoins, il peut leur expliquer les raisons qui l’empêchent de le faire afin d’éviter des sentiments de déception ou de frustration, comme procède cette directrice d’établissement :
« Quand je fais face, par exemple, à des demandes d’embauches supplémentaires, que ça ne dépend pas de nous. Pour cela, je pourrais organiser de petites réunions d’équipe, avec éventuellement l’aide d’un petit support. »
Pour améliorer cette communication, la sélection, l’accompagnement et l’évolution professionnelle des managers ne devraient donc pas se limiter à l’évaluation et au développement des compétences techniques et professionnelles, comme c’est souvent le cas. Ils devraient concerner également les compétences cognitives, pour permettre au manager de gérer des injonctions paradoxales, d’analyser et adapter l’organisation du travail, ainsi que les compétences sociales. Ces dernières sont en effet nécessaires pour favoriser la confiance et les échanges, reconnaître et donner plus de sens au travail, ou encore pour gérer des conflits.
Cet article met l’accent sur le rôle que peut jouer la relation managériale dans la fidélisation des professionnels (salariés opérationnels et managers) du secteur médico-social du point de vue des managés. Toutefois, il convient de rappeler que la fidélisation du personnel dépend aussi d’autres facteurs organisationnels (rémunération, climat social, organisation du travail, etc.) et individuels (choix professionnels, personnalité, valeurs personnelles, etc.).
Plus largement, une réflexion collective sur l’amélioration des conditions de travail et des relations interpersonnelles s’impose dans le secteur afin de stabiliser les personnels, de lutter contre la maltraitance institutionnelle, telle que révélée en début d’année par le scandale Orpea, et de préserver ainsi la santé de tous.
Khaled Sabouné, Maître de Conférences, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.