Au Canada, environ une femme est tuée par son partenaire, chaque semaine. La majorité des homicides conjugaux sont commis par des hommes à l’endroit de femmes et de leurs enfants. La période de séparation est d’ailleurs une étape critique où le risque d’homicide conjugale est élevé. Les homicides conjugaux sont souvent précédés par d’autres événements de violence, d’où l’importance de prévenir cette violence, et ce, dès les premières relations intimes.
Ma co-auteure Jacinthe Dion et moi-même avons développé une expertise dans le domaine de la prévention et de la violence dans les relations intimes chez les adolescent·e·s et les jeunes femmes. Nous sommes également membres de l’Équipe violence sexuelle et santé (ÉVISSA), du partenariat de recherche sur les trajectoires de violence conjugale et de recherche d’aide (Trajetvi) et du Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS).
Une hausse des féminicides peut-être reliée à la pandémie
En temps de crise, la violence faite aux filles et aux femmes a tendance à augmenter. C’est d’ailleurs ce qui est observé depuis le début de la pandémie au Canada et ailleurs dans le monde. Les maisons d’hébergement et SOS violence conjugale ont rapporté une augmentation de la violence conjugale, des appels d’aide et des demandes d’hébergement. De leur côté, les services de police enregistrent une hausse de 12 % des signalements de violence conjugale et des statistiques préliminaires montrent une augmentation de 45 % des accusations pour violence conjugale dans la province.
Le stress, les tensions, les insécurités liés à la Covid-19 semblent exacerbés pendant le confinement, qui devient alors prétexte à la perpétration de violence.
Selon Statistique Canada, qui a sondé plus de 4 600 Canadiens entre mars et avril 2020, le tiers des répondants disent craindre les tensions familiales en raison du confinement. Plus précisément, 10 % des femmes et 6 % des hommes ont indiqué ressentir « beaucoup ou énormément d’inquiétude » quant à la possibilité de vivre de la violence dans leur foyer.
Le confinement a aussi considérablement diminué les contacts avec l’extérieur du foyer, contribuant ainsi à l’isolement des femmes et entravant leurs possibilités de solliciter de l’aide. Dans un contexte d’appauvrissement économique des femmes, leurs opportunités de quitter un partenaire violent devient encore plus difficile.
Les violences se manifestent dès les premières relations intimes
Les résultats de l’Enquête Parcours amoureux des Jeunes révèlent que 63 % des filles de 3e et 4e secondaire rapportent avoir vécu au moins un épisode de violence (physique, sexuelle ou psychologique) dans leurs relations amoureuses au cours des 12 mois précédents. Les dynamiques de violence tendent à se maintenir dans le temps et à perdurer jusqu’à l’âge adulte, alors que plus d’une adolescente sur trois est revictimisée dans le contexte d’une relation intime à l’âge adulte.
Seulement une femme sur cinq et une adolescente sur 10 font appel à des ressources d’aide formelle pour obtenir de l’aide en lien avec la violence vécue en contexte de relations intimes. Certains obstacles empêchent les filles et les femmes de rechercher de l’aide formelle et entravent également les démarches de celles qui le font.
Parmi ces obstacles, la méconnaissance des services d’aide et les enjeux d’accès, les craintes d’une escalade éventuelle de violence suivant le dévoilement, des ressources tangibles limitées en terme financier qui contraignent les femmes à demeurer dans une relation de violence, le manque de confiance dans un système qui aurait failli par le passé. Ces constats suggèrent qu’il reste encore tant à faire pour contrer la stigmatisation associée à la violence exercée par un partenaire intime et nous invitent à redoubler d’efforts pour sensibiliser aux violences.
Il faut donc intervenir en amont, dès l’adolescence, pour prévenir les violences dans les relations amoureuses et lutter contre les inégalités de genre. Ces actions de prévention doivent entre autres choses aborder les relations intimes positives, outiller les jeunes pour qu’ils développent de saines stratégies de gestion des conflits et d’auto-régulation de leurs émotions et leur capacité à obtenir de l’information lorsqu’ils vivent des difficultés dans leurs relations intimes.
Des difficultés à reconnaître la violence
Les violences en contexte de relations intimes peuvent se manifester de façon sournoise. Elles ne sont pas toujours reconnues par les victimes, par leurs proches et parfois même par les intervenants, parce qu’elles sont difficiles à dépister. D’ailleurs, le comité d’examen des décès liés à la violence conjugale (2020) confirmait que, dans la plupart des cas étudiés, il y avait eu des opportunités d’intervention qui n’ont malheureusement pas été saisies.
Québec vient de lancer une campagne publicitaire « La violence faite aux femmes, ça s’arrête là », afin de sensibiliser la population au caractère insidieux de cette violence.
Les signes précurseurs doivent être pris au sérieux. Les filles et les femmes peuvent avoir l’impression de marcher sur des œufs avec leur partenaire qui, à tout moment, est susceptible exploser. Elles sentent que peu importe ce qu’elles font, ce n’est jamais suffisant ou jamais correct. Elles ont constamment à se justifier et à rendre compte de leurs allées et venues et de leurs communications électroniques.
Ces indices, qui peuvent laisser poindre une situation de violence, sont souvent ignorés, pour différentes raisons : parce qu’on l’aime, parce qu’il a promis qu’il allait changer et qu’il nous aime, parce qu’il y a de bons côtés à notre relation intime et qu’on s’y accroche dans les moments creux, parce qu’on a nulle part où aller ou pas les moyens, parce que si l’on quitte, on a peur de ce qui pourrait nous arriver, à nos enfants, à nos proches.
Voilà pourquoi il est crucial de mettre en place des initiatives de sensibilisation et de formation à grande échelle pour informer la population des divers visages de ces violences (psychologique, physique, sexuelle et économique), afin de discerner les signes précurseurs des violences en contexte de relations intimes. Il faut aussi mieux faire connaître les outils disponibles.
Il est également important de miser sur la réduction des inégalités de genre en proposant des initiatives préventives qui visent à déboulonner les mythes entourant les rapports sociaux de genre et la sexualité. Il s’agit de proposer des modèles de masculinité et de féminité positifs et égalitaires et condamner les normes qui sanctionnent la perpétration des violences à l’égard des femmes. Bref, en misant sur les jeunes et en les impliquant dans les actions qui leur sont destinées, nous parviendrons ensemble à lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles et à faire la différence.
Mylène Fernet, , Université du Québec à Montréal (UQAM) et Jacinthe Dion, Professeure titulaire, Cotitulaire de la chaire de recherche VISAJ, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.