Depuis plusieurs années et notamment la loi du 8 juillet 2013, le système scolaire français se transforme pour permettre à tous les élèves, et notamment ceux en situation de handicap, d’accéder à l’école et aux apprentissages. Dit autrement, l’école française a accepté de se repenser afin de s’adapter aux besoins de tous les élèves, y compris ceux et celles qui étaient privés jusqu’alors d’une scolarisation « ordinaire ». Cet objectif, inscrit dans un mouvement international (voir l’Agenda 2030 de l’Unesco), est non seulement louable, mais porte aussi ses fruits.
Tout cela demande un engagement fort de la part des enseignants, il est donc important de considérer ce que ces acteurs et actrices essentielles de l’éducation pensent de ce changement de paradigme. En effet, leurs attitudes peuvent (modestement) permettre de prédire leur implication dans des pratiques visant l’inclusion des élèves en situation de handicap. Ainsi, plus les enseignants seraient favorables à l’inclusion scolaire et plus ils seraient prompts à adopter des gestes professionnels soutenant l’apprentissage de tous les élèves.
Sur ce point, une méta-analyse récente (c’est-à-dire une étude combinant l’ensemble des études sur une question donnée) a mis en évidence que celles-ci seraient plutôt positives tout en étant teintées d’une certaine ambiguïté. Plus précisément, si les enseignants expriment des attitudes positives envers l’idée générale de l’éducation inclusive, ils expriment davantage de réticences à la mise en pratique de celle-ci dans leur propre classe. Bien sûr, ces attitudes varient selon de multiples facteurs, certains liés aux individus (élèves ou enseignants), d’autres à l’environnement.
Des déterminants liés aux personnes
Un nombre conséquent de travaux a cherché à comprendre l’influence de caractéristiques liées à l’enseignant (ce qu’il ou elle est) ou même aux élèves (ce qu’ils ou elles sont) sur les attitudes exprimées. Touchant les premiers, s’il semble qu’il y ait relativement peu de variations dans les attitudes entre les enseignantes et les enseignants ou même en fonction de l’âge ou l’expérience, il apparaît néanmoins de manière extrêmement claire que ceux et celles qui ont le plus confiance en leur capacité à enseigner sont aussi ceux et celles qui expriment les attitudes les plus favorables. Dit autrement, un enseignant qui doute peu de ses compétences professionnelles serait plus prompt à accepter l’ensemble des élèves dans sa classe.
Touchant les élèves, il semble que les difficultés rencontrées puissent également influencer particulièrement les attitudes du corps enseignant. Ainsi, si l’inclusion d’élèves à mobilité réduite ne semble plus faire l’objet de contestation, cela est moins le cas pour les élèves faisant face à une situation de handicap invisible.
Dans nos propres travaux, menés en collaboration avec Anne-Laure Perrin, Odile Rohmer et Caroline Desombre, nous avons pu confirmer ces résultats auprès d’enseignants français en montrant que ces derniers sont globalement plus défavorables à l’inclusion des élèves porteurs de troubles du spectre de l’autisme, par rapport aux élèves présentant une déficience intellectuelle ou une déficience motrice. Cela semble s’expliquer par le fait qu’ils ou elles associent spontanément aux élèves porteurs d’un trouble du spectre de l’autisme des comportements qui pourraient nuire à la conduite de la classe.
Si ces travaux sont éclairants, il faut néanmoins noter qu’ils présentent le risque d’amener à penser que les enseignants (particulièrement ceux et celles qui se sentent les moins compétents) seraient de fait les seuls responsables des difficultés de la mise en place de l’école inclusive (en refusant davantage certains élèves que d’autres). Or, comme discuté dans la partie suivante, nous pensons que pour comprendre ces difficultés, il faut aussi porter un regard critique sur l’organisation même de notre système éducatif.
L’école, entre inclusion et sélection
Les travaux en sociologie de l’éducation ont depuis longtemps mis en exergue le fait que les systèmes éducatifs occidentaux ont à la fois une fonction de formation et une fonction de sélection. Ainsi, si l’école doit « transmettre » des savoirs afin que chacun puisse « développer un socle commun de connaissances, de compétences et de culture », elle doit aussi permettre l’identification, parmi l’ensemble des élèves, de celles et ceux qui sont les plus aptes à obtenir les diplômes, celles et ceux qui seraient les plus méritants.
Le système éducatif français devrait donc, grâce à une démocratisation de l’accès aux savoirs, offrir à l’ensemble des élèves les mêmes opportunités de développer leur potentiel, tout en ayant pour objectif de « faire le tri » afin d’assurer aux élèves sélectionnés une place correspondant à leur mérite individuel.
Toutefois, cette fonction de sélection ne semble pas autant se baser sur le mérite qu’elle le prétend et il nous est apparu important de poser la question de l’articulation entre celle-ci et l’école inclusive. Si, a priori, vouloir identifier les élèves les plus méritants n’empêche pas de proposer des pédagogies adaptées aux besoins de tous les élèves, il semble que la réalité puisse être un peu différente. En effet, tout se passe comme si lever les barrières à l’apprentissage de certains pourrait venir contrecarrer le principe d’une comparaison juste entre les élèves (qui ne sont plus sur la même ligne de départ, n’ayant pas tous reçus la même enseignement/évaluation).
C’est ce qu’appuient en partie nos travaux, menés en collaboration avec Kamilla Khamzina, en mettant en évidence que plus les enseignants souscrivent à l’idée de la sélection à l’École et moins ils ou elles soutiennent la politique d’éducation inclusive. Dit autrement, l’organisation même du système éducatif à travers sa fonction de sélection semble pouvoir créer des barrières à la mise en place de l’éducation inclusive en mettant notamment les enseignants face à un dilemme entre sélectionner et inclure. Mais alors, existent-ils des solutions pour soutenir la mise en place de cette politique ?
Si les enseignants réclament légitimement des moyens supplémentaires pour soutenir la mise en place de l’école pour tous et toutes, il semble particulièrement pertinent que ceux-ci soient investis dans la formation. En effet, il apparait que plus les enseignants ont une compréhension fine de ce qu’est cette politique inclusive, plus ils ou elles y sont favorables. En outre, mieux les former permettrait d’améliorer leur sentiment d’efficacité personnelle et donc, par extension, leurs attitudes.
Si les changements récents touchant la formation initiale sont encourageants, il nous semble très important de soutenir également la formation continue à travers la mise en œuvre des décisions législatives prises il y a plusieurs années et le développement de celle-ci. Si la formation n’est assurément pas la seule réponse, elle est pour autant essentielle pour faire évoluer les mentalités et permettre à l’ensemble des élèves de trouver leur place à l’école.
Mickaël Jury, Maître de conférence en psychologie à l'INSPÉ Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.