Alors que la santé mentale des jeunes s’est considérablement dégradée au cours de la dernière décennie, sensibiliser les élèves aux concepts de la psychologie positive pourrait-il contribuer à inverser la tendance ?
Pour rappel, les niveaux de désespoir, de tristesse et de solitude relevés chez les jeunes Américains sont historiquement élevés. Selon les données les plus récentes des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, plus de 20 % des adolescents ont sérieusement envisagé de se suicider – et le suicide est la deuxième cause de décès chez les enfants âgés de 10 à 14 ans.
En France, une enquête nationale menée dans les collèges et lycées, et publiée en avril 2024, révélait qu’un adolescent sur sept présente de graves risques de dépression. Du côté des étudiants, 41 % d’entre eux présenteraient des symptômes dépressifs contre 26 % avant la crise du Covid, mettait en avant France Inter en mars 2024 en se fondant sur une étude de l’Université de Bordeaux.
Ce qui est peut-être encore plus alarmant que cette prévalence des problèmes de santé mentale chez les jeunes, c’est la difficulté pour les nombreux enfants qui en ont besoin d’accéder aux services de soutien à la santé mentale. Aux États-Unis, environ 60 % des adolescents déprimés ne reçoivent aucun traitement.
L’une des solutions consiste à fournir des soins dans les écoles, là où se trouvent les enfants. C’est déjà le cas avec le travail des psychologues et travailleurs sociaux qui font équipe avec les soignants. Mais il faudrait aller plus loin.
Les recherches montrent que les élèves qui portent un regard positif sur leur vie obtiennent de meilleurs résultats que les autres élèves sur le plan scolaire et émotionnel. Les élèves qui sont initiés à des approches de psychologie positive scientifiquement fondées auraient moins de problèmes de comportement.
La « science du bonheur » ?
C’est à à la fin des années 1990 que les psychologues ont commencé à s’intéresser à la « science du bonheur ». Auparavant, ils se focalisaient plutôt sur les situations de tristesse et de souffrance.
Pionnier du concept de « l’impuissance apprise », le psychologue Martin Seligman a été l’un de ces scientifiques. Une conversation avec sa fille, qui lui demandait pourquoi il ne pouvait pas « cesser d’être aussi grincheux », l’a incité à commencer à étudier ce qui rend les gens heureux.
Les premières études étaient de nature conceptuelle. Mais rapidement, les chercheurs ont tenté d’identifier les ressorts concrets du bonheur, ses bénéfices et les actions permettant de l’améliorer.
Les scientifiques ont identifié trois principaux facteurs prédictifs du bonheur – la génétique, les circonstances de la vie, l’engagement dans des activités utiles – et potentiellement d’autres, selon la culture de chacun. Parmi ces trois grands facteurs, les deux premiers échappent souvent au contrôle de l’individu. Mais la science a montré que les gens peuvent adopter des stratégies pour se sentir plus heureux.
L’objectif des interventions de psychologie positive est de parvenir à un état d’épanouissement, c’est-à-dire de se sentir bien et de faire du bien. Il peut s’agir d’évoquer des sentiments positifs, d’accroître l’implication dans la vie, de renforcer les relations positives, d’inciter les gens à poursuivre un but et les aider à atteindre des objectifs significatifs.
Des approches de la psychologie positive dans les écoles
La psychologie positive est désormais enseignée dans des écoles du monde entier, notamment aux États-Unis, en Australie, au Danemark, en Israël, en Nouvelle-Zélande, en Chine et en Afrique du Sud. La plupart des interventions sensibilisent les élèves à la pleine conscience et aux concepts de la psychologie positive telles que la gratitude, la gentillesse, la pensée optimiste, l’utilisation des points forts du caractère de chacun et l’espoir.
L’idée n’est pas seulement d’enseigner aux élèves la psychologie positive en tant que matière scolaire, mais de les aider à mettre en pratique les compétences qui, selon la recherche, les aideront à s’épanouir.
Dans ce type de programmes, les élèves s’initient d’abord aux concepts de la psychologie positive, puis s’exercent à les utiliser dans la vie réelle avec l’aide d’adultes de confiance. Par exemple, ils discutent de ce que signifie pour eux la gratitude, puis s’exercent à écrire trois choses qui éveillent leur reconnaissance chaque soir au coucher. Au bout d’une semaine, ils échangent avec l’équipe enseignante de l’impact de cette pratique sur leur niveau de bonheur.
Une étude réalisée en 2020 sur 57 programmes autour de la psychologie positive en milieu scolaire a montré que plus de la moitié d’entre eux ont donné des résultats positifs, notamment moins de stress, moins de dépressions, moins d’anxiété, moins de problèmes de comportement, une meilleure image de soi, une plus grande satisfaction à l’égard de la vie et un meilleur fonctionnement social.
La gentillesse, facteur de bien-être
L’une des interventions actuellement étudiées par le ministère américain de l’Éducation est une intervention de 10 semaines en petits groupes visant un public de collégiens. J’encadre les prestataires de santé mentale qui mettent en œuvre ce programme.
Comme d’autres séquences de ce type, il s’agit de sensibiliser les jeunes aux concepts positifs comme la gratitude, la gentillesse, le courage, l’optimisme et l’espoir. Les premiers résultats, présentés lors de la conférence 2023 de la National Association of School Psychology, montrent que le programme est bien accueilli par les élèves et les prestataires.
Nous avons constaté que les élèves ont tendance à privilégier les activités qui correspondent à leur culture ou à leurs valeurs. Par exemple, un étudiant a déclaré que l’accomplissement d’actes de gentillesse était son activité préférée dans le cadre du programme, car cela lui permettait de passer plus de temps avec sa famille et ses animaux de compagnie, les deux choses les plus importantes dans sa vie. Un autre élève a déclaré que le fait de pouvoir partager les stratégies avec sa mère les a aidés tous les deux à se sentir plus heureux.
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Nous avons également constaté que certains élèves pensaient que le programme les aidait à établir des relations positives avec les autres. Un élève a déclaré : « C’est vraiment amusant de voir comment les autres réagissent lorsque je suis gentil, par exemple en leur faisant un compliment », et il a ajouté que cela l’aidait à se sentir « bien au fond de lui-même ». Un autre élève a abondé dans le même sens, affirmant que le fait de faire du bien aux autres les aidait à se sentir plus heureux.
La formation à la psychologie positive n’est qu’une part des solutions pour améliorer la santé mentale des jeunes. Les enfants souffrant de problèmes graves ont besoin d’une prise en charge complète, avec un suivi par des professionnels de santé et des médicaments.
Même si de nombreux facteurs importants échappent à notre contrôle, tout le monde dispose d’une marge de manœuvre en matière de bonheur. Mes collègues et moi-même espérons que l’enseignement de la psychologie positive dans les écoles deviendra une pratique courante à l’avenir.
Kai Zhuang Shum, Assistant Professor of School Psychology, University of Tennessee
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.