Aujourd’hui, quasiment toutes les entreprises cherchent à recruter des personnes créatives, capables d’innover et de contribuer à l’évolution de leur champ d’expertise.
L’expression de la créativité apparaît dès le plus jeune âge. Les enfants jouent très tôt à « faire semblant » – une activité qui sollicite leur imagination et leur faculté à créer des fictions. Ils inventent des histoires de toutes pièces et leur donnent vie à l’aide d’accessoires (cubes ou bâtons) qui se transforment en téléphone ou en monstre par la grâce de l’imagination.
Mais cette façon de jouer rend-elle les enfants plus créatifs ? Et surtout, dans quelle mesure les parents et les éducateurs peuvent-ils utiliser ce type de jeu pour stimuler la créativité des petits ?
Mesurer la créativité dans le jeu
Afin d’étudier le lien entre le jeu et la créativité, nous devions être en mesure de quantifier différents indicateurs associés à ce type de jeu. En 1990, nous avons créé une échelle pour mesurer les degrés d’imagination et d’expression émotionnelle dans les jeux de « faire semblant ». Nous l’avons nommée « échelle de l’affect dans le jeu ».
L’« expression émotionnelle » est une formule qui évoque les moments où l’enfant simule des émotions : il fait comme s’il avait peur quand sa poupée s’enfuit à l’approche d’un monstre ; il fait semblant de s’amuser quand une marionnette fait du toboggan… Les enfants expriment ainsi une grande variété d’émotions : joie, peur, tristesse, colère, affection ou frustration.
Les enfants avec lesquels nous travaillons ont de 6 à 10 ans. Nous les filmons individuellement pendant 5 minutes, tandis qu’ils s’amusent avec des poupées et des cubes. Ensuite, nous évaluons leur jeu sur des critères d’imagination, de qualité de l’histoire et de niveau d’émotion exprimée dans le récit. Quand nous étudions de plus jeunes enfants – âgés de 4 à 5 ans – nous modifions le programme et leur fournissons plus de jouets et plus d’instructions.
Jeu et créativité
Notre étude prouve que selon leur degré d’imagination, leur capacité à raconter une histoire et à exprimer leurs émotions, les enfants sont plus ou moins doués pour la pensée critique et créative.

Les enfants les plus doués pour la narration ont aussi de meilleures capacités en « pensée divergente » : quand on leur demande de quelle façon utiliser un journal ou un bouton, ils sont capables d’imaginer beaucoup de possibilités.
De même, les enfants les plus imaginatifs et les plus enclins à simuler des émotions au cours du jeu sont en général de meilleurs « penseurs divergents ». La pensée divergente est donc étroitement liée à aux capacités de pensée critique et créative.
En outre, les enfants qui montrent une grande créativité quand ils jouent à « faire semblant » sont aussi très créatifs sur d’autres plans. Quand nous avons revu les mêmes enfants 4 ans après la première expérience, nous avons découvert qu’ils avaient globalement des capacités créatives au-dessus de la moyenne.
D’habitude, aucune de ces combinaisons de critères n’est associée à l’intelligence : les tests de QI actuels ne savent pas mesurer la capacité de jouer à « faire semblant ».
Quand les adultes entrent dans le jeu
Sachant que la créativité des enfants est liée à leur capacité à jouer à « faire semblant », les adultes peuvent-ils les aider à mieux jouer dans le but d’améliorer leur pensée critique et créative ?
Quelques études montrent que lorsque les adultes aident les enfants à jouer à « faire semblant », même brièvement, cela stimule leur imagination et leur créativité.
Jouer à faire semblant suppose d’inventer une histoire de toutes pièces, de générer une multiplicité d’idées différentes, mais aussi d’utiliser des souvenirs corrélés à des émotions et de résoudre des problèmes de façon inédite.
Les recherches menées avec des enfants atteints de retards de développement montrent que l’intervention des adultes peut stimuler significativement le développement de leur imagination. Par exemple, dans une étude menée avec des enfants souffrant de troubles du spectre autistique (qui ont du mal à créer du lien, à imaginer et à exprimer leurs émotions) et des enfants atteints du syndrome de Prader-Willi (qui souffrent d’hyperphagie et d’un retard de développement), le soutien d’un adulte pendant le jeu les rend plus imaginatifs.
Ce que prouve la recherche
Nous avons obtenu des résultats comparables au cours de nos recherches avec des enfants au développement normal. En 2003 et en 2004, nous avons lancé une étude pilote avec des enfants de CP et de CE1 d’une école de centre-ville, dans un quartier très défavorisé.
Avec l’aide d’un adulte, les enfants s’amusaient avec une foule de jouets et inventaient des histoires selon des thèmes imposés, pendant des sessions de 20 à 30 minutes. Il s’agissait par exemple d’un garçon qui allait sur la lune, ou bien au zoo ; qui se sentait triste parce qu’il avait perdu son chien, ou qui était content de participer à un anniversaire.

L’adulte montrait à l’enfant différentes façons de « faire comme si », en montrant par exemple que tel Lego pouvait être une bouteille de lait, ou que ce cube rouge pouvait figurer une voiture de pompier. L’adulte pouvait aussi suggérer la suite de l’histoire.
Il donnait des exemples d’émotions, félicitait l’enfant, l’incitait à trouver différentes fins à l’histoire et l’encourageait en lui posant des questions.
Chaque enfant devait démarrer avec le même début d’histoire et avait le même type d’interactions avec l’adulte, mais les adultes s’adaptaient au niveau de jeu de chaque enfant.
Nous avions aussi mis en place un groupe de contrôle dans lequel un adulte aidait les enfants à faire des coloriages et des puzzles. Dans ce groupe, le jeu ne sollicitait pas l’imagination.
Une créativité en hausse
Après cinq semaines d’expérience, les enfants ont été à nouveau évalués. Les enfants du groupe de jeu créatif ont bien plus amélioré leurs capacités de jeu, leur faculté d’adaptation et leur créativité que les enfants du groupe de contrôle.
Deux études complémentaires – dans une école privée de filles – ont été conduites selon le même protocole (avec un groupe « créatif » et un groupe de contrôle) et ont donné les mêmes résultats. Il n’y avait qu’une différence avec l’expérience précédente : les enfants jouaient par groupe de quatre, et les adultes « facilitateurs » les encourageaient à s’exprimer à tour de rôle, pour qu’aucun d’entre eux ne prenne le dessus. Le niveau d’imagination des enfants a été mesuré avant et après l’expérience.
Après 6 semaines, les enfants du groupe de jeu imaginatif avaient significativement amélioré leurs capacités créatives. Et le plus intéressant, c’est que même ceux dont l’imagination était moins élevée que la moyenne lors du test initial étaient capables de pensée critique et créative après l’expérience.

Cela signifie que la créativité peut être améliorée facilement en classe, en travaillant avec de petits groupes d’enfants.
Ce que les parents et les profs peuvent faire
Ces recherches sont prometteuses : elles démontrent qu’une intervention, même brève, facile à mettre en place, peut aider les enfants à développer leur imagination à travers le jeu. Il faut désormais mettre en place une étude à grande échelle pour affiner l’intervention des adultes et rassembler des données sur les façons les plus appropriées d’en faire bénéficier les enfants.
D’après moi, il est certain que les parents comme les professeurs peuvent stimuler l’imagination des enfants en jouant avec eux, en appréciant le jeu, et en leur montrant comment inventer et démarrer une histoire. Alors, la prochaine fois que vous passerez du temps avec des petits, proposez-leur un début d’histoire. S’ils se sentent coincés ou qu’ils se répètent, discutez-en avec eux et donnez-leur des idées. Mais surtout – et c’est là le plus important – amusez-vous.
Sandra Russ, Distinguished University Professor and Louis D. Beaumont University Professor, Case Western Reserve University - Shutterstock
Cet article est republié à partir de notre partenaireThe Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.