Annoncé depuis plus de 18 mois, suite aux conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie, le projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et à la fin de vie » entame cette semaine son parcours législatif. Une commission parlementaire spéciale a travaillé sur le projet de loi avant qu’il ne soit soumis aux débats dans l’hémicycle.
Le président de la République ayant annoncé qu’il n’y aurait pas de procédure d’urgence sur ce sujet, on peut prévoir un vote définitif avant l’été.
Ce projet de loi se situe dans le prolongement de l’évolution des droits des malades qui a débuté il y a une vingtaine d’années et qui a consacré la possibilité pour les patients de refuser des investigations ou un traitement quand bien même cela mettrait sa vie en péril. Ce à quoi s’est ajoutée la mise en place des directives anticipées. Dans ces dernières, le patient va exprimer ses volontés relatives à sa fin de vie. Elles englobent dans des droits désormais reconnus aux patients, la condamnation de l’acharnement thérapeutique ou encore la sédation profonde et continue permettant de soulager des souffrances insupportables quand bien même cela aurait pour conséquence d’abréger la vie.
La première partie du projet de loi est consacrée aux soins d’accompagnement, notion plus large que celle de soins palliatifs, et aux droits des malades. La deuxième partie du texte est consacrée à « l’aide à mourir ». Penchons-nous sur cette dernière : alors qu’il s’agit de se donner la mort ou de se faire donner la mort par un tiers, le projet de loi ne contient aucune disposition pénale justifiant l’exclusion de la responsabilité pénale.
Une substance létale, deux modes d’administration
L’article 5 du projet de loi définit « l’aide à mourir » comme le fait d’autoriser et d’accompagner la mise à disposition d’une substance létale à un patient qui en a formulé la demande et qui remplit les conditions visées à l’article 6 : le patient doit être majeur, de nationalité française, capable d’un consentement éclairé et atteint d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme et présentant une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable liée à cette affection. Les articles 7 à 10 renvoient aux modalités de la demande, à la procédure à respecter ainsi qu’aux droits du patient et aux rôles du personnel médical.
L’article 11 concerne l’administration de la substance létale. Le principe est que, lorsque son état le permet, c’est le patient qui va s’administrer la substance létale préparée par le médecin ou l’infirmier qui doit être présent. À l’inverse, si le patient n’est physiquement capable de s’administrer la substance létale, cette tâche sera confiée à un tiers. Le patient pourra désigner un proche ou une personne volontaire telle qu’un membre d’une association. À défaut c’est le professionnel de santé qui procédera à l’administration.
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Une assistance à se donner la mort ?
Nonobstant l’affirmation du président de la République selon laquelle « avec ce texte on regarde la mort en face », le contenu de l’article 11 du projet de loi fait ressortir que la finalité est d’admettre le principe du suicide assisté et par exception d’autoriser des actes d’euthanasie active mais en les couvrant d’un voile pudique incarné par l’expression « aide à mourir ».
En effet, autoriser la fourniture de la substance létale à la personne qui se l’administre n’est pas une aide à mourir mais bien une aide, une assistance à se donner la mort donc au suicide. Les raisons invoquées pour éviter d’utiliser le terme suicide dans le texte n’y changent rien. De plus, permettre à un tiers d’administrer cette substance est bien une euthanasie active au sens commun du terme.
De surcroît, le pénaliste ne peut s’empêcher de voir dans ces actes des comportements susceptibles de qualifications pénales. En effet, si fournir les moyens de se donner la mort n’a jamais constitué une infraction pénale ou plus exactement une complicité (du moins depuis que le suicide lui-même n’est plus une infraction), le fait d’assister, sans l’empêcher, à un suicide est constitutif d’une non-assistance à personne en péril. Et, de manière encore plus flagrante, le fait pour un tiers d’administrer la substance létale constitue, non un meurtre comme le dit, maladroitement, le projet de loi mais bien un empoisonnement.
Il est donc légitime de s’interroger sur l’absence totale de référence à une quelconque modification du code pénal, à l’exception de la création d’un délit d’entrave au recours à l’aide à mourir qui est étranger au changement de paradigme.
Assister au suicide et suicide assisté…
Même pour l’hypothèse de l’auto-administration, on peut déplorer l’absence de dispositions protectrices pour les personnes intervenant dans le processus. En effet, rien ne permet d’affirmer que des poursuites pour non-assistance à personne en péril ne pourraient pas être entamées à l’encontre des personnes présentes au moment de l’administration (personnel médical, proches, représentant d’associations d’accompagnement). En effet, la mort doit être considérée comme un péril, même lorsque, comme en l’espèce, elle est désirée être « aidée » de manière légale.
On peut certes invoquer l’article 122-4 du code pénal qui précise que la responsabilité pénale ne peut pas être reconnue lorsque l’acte commis par l’agent est ordonné ou autorisé par la loi. Néanmoins le Code de la Santé publique autorise la délivrance de la substance létale et non le fait d’assister à un suicide sans intervenir (à l’exception du personnel médical dont la présence à proximité est imposée par le texte). Il conviendrait donc d’ajouter une insertion dans le texte de l’article 223-6 du code pénal, précisant par exemple que
« le délit ne s’applique pas dans le cadre de l’aide à mourir prévue par les articles… du Code de la Santé publique ».
Deux textes incriminateurs devraient encore être légèrement modifiés. Il s’agit en premier lieu du texte réprimant l’incitation au suicide qui pourrait utilement être complété afin d’inclure clairement l’incitation « à recourir à l’aide à mourir ». Cette précision permettrait d’éviter d’interminables discussions sur l’équivalence entre la notion de suicide et celle d’aide à mourir.
L’article 223-14 du code pénal qui réprime la publicité ou la propagande en faveur des produits et méthodes pour se donner la mort mérite aussi une attention accrue. En son état actuel, il constitue un obstacle à l’information qui pourrait être délivrée par les associations œuvrant en faveur de la liberté de recourir à l’euthanasie et même d’éventuelles futures associations proposant un soutien aux personnes optant pour une aide à mourir. La difficulté consiste à faire la part entre la simple information et les notions de publicité et de propagande employées par le texte. La solution pourrait passer par l’élaboration d’une charte ou d’un règlement délimitant clairement les modalités, les lieux et les limites de l’information pouvant être dispensée par ces personnes morales qui, en outre, pourraient être soumises à l’obtention d’un agrément, dont le maintien ou le renouvellement serait soumis à un strict respect de ces règles.
L’administration par un tiers
Le plus sérieux malaise ressenti par le pénaliste concerne l’hypothèse, qui devrait sans doute être plus rare en pratique, de l’administration par un tiers en raison de l’impossibilité physique du patient. Un tiers va donc administrer la substance létale au patient incapable de le faire par lui-même. L’ensemble des éléments constitutifs de l’empoisonnement sont réunis, c’est d’ailleurs souvent ce crime qui est reproché aux médecins qui procèdent à des actes euthanasiques.
On ne peut que regretter que le projet de loi ne fasse pas référence à une insertion au sein du texte incriminant l’empoisonnement pour préciser que le crime n’est pas constitué lorsque les conditions légales fixées par le Code de la Santé publique sont réunies. Juridiquement, une fois de plus, il n’y a pas de réelles difficultés puisque l’article 122-4 du code pénal peut trouver application. Si les conditions fixées par le texte relatif à l’aide à mourir sont réunies, l’acte visé est autorisé par la loi et ne peut donc entraîner la mise en jeu de la responsabilité pénale de l’auteur du geste fatal.
Pour autant, il s’agit d’un véritable bouleversement sur le plan des principes puisqu’il s’agit de retirer sa coloration pénale à un acte porté contre la vie d’autrui. Or, la vie humaine est la valeur suprême protégée par le droit pénal qui, doit-on le rappeler, donne une image à un instant donné des valeurs sociales protégées.
Il est donc plus que souhaitable que le législateur prenne la peine d’ajouter une phrase ou un alinéa au texte incriminant l’empoisonnement tant pour clarifier les choses que pour montrer le caractère exceptionnel de l’autorisation légale de poser un acte contre la vie d’autrui.
Pour la violation du secret professionnel, qui protège une valeur sociale objectivement moindre que la vie humaine, le législateur fait précéder la liste des cas précis dans lesquels l’infraction est écartée, de la phrase « L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret ». Précision « inutile » puisqu’ici aussi l’article 122-4 du code pénal se suffit à lui-même. Si le législateur a estimé cette précision nécessaire en matière de secret professionnel pourquoi ne le serait-elle pas en présence d’une évolution sociétale telle que l’admission d’une hypothèse d’euthanasie active.
Enfin, le pénaliste ne peut qu’émettre le souhait que les critères posés par le Code de la Santé publique, susceptibles d’évoluer au gré des travaux parlementaires, seront les plus précis possibles (notion de patient qui ne serait pas en état de s’autoadministrer la substance létale, capacité de consentement, nature de l’affection, stade de la maladie…). Cette précision des critères est nécessaire afin d’éviter toute difficulté d’interprétation en cas d’une éventuelle appréciation de la légalité de l’acte par le juge pénal qui demeurera le garant du respect de la dignité et de la vie humaine.
Jean-Claude Planque, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Maître de Conférences Habilité à Diriger des recherches à l'Université de Lille, Membre de l’Equipe de Recherche Appliquée au Droit Privé (CRDP), Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.