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EDUCATION

Le petit garçon qui voulait grandir

C’est l’histoire d’un petit garçon. Un tout petit garçon de sept ans, un peu solitaire depuis que ses parents ont mystérieusement disparu. Il vit seul chez sa grand-mère et tout va bien. Sauf que… la grand-mère a la mauvaise idée, un jour de marché, de faire un stupide AVC et d’être emmenée – sans plus de façon – vers une maison de retraite. Pris en charge par la gendarmerie, l’enfant se retrouve orienté vers un foyer. Il n’a que sept ans et va découvrir avec stupéfaction la vie collective avec sa promiscuité, sa brutalité, l’indifférence ou les gestes imbéciles des uns et des autres. Grâce à un éducateur un peu plus attentif que les autres, mais aussi avec l’appui de quelques bons copains, l’enfant va faire face et s’adapter. Malgré toutes ces difficultés ce petit garçon va continuer de grandir. La fin de l’histoire, un peu « conte de fées » vous surprendra.



Plus de 40 ans passés dans le milieu médico-social donnent à Régis Granier, éducateur spécialisé, le droit et les éléments pour décrire la vie quotidienne des foyers. « J’aime mon métier et je le pratique avec plaisir, je sais qu’en disant cela je deviens suspect. Pourtant c’est absolument vrai : le métier d’éducateur spécialisé est souvent passionnant ! » Ce modeste ouvrage est là pour témoigner quelques gestes simples, pratiqués avec spontanéité et sincérité, peuvent donner à un petit enfant l’envie de continuer à grandir malgré la rudesse de l’existence.

Extrait 

Chapitre 1

Il était quatorze heures et j’allais prendre mon service d’après-midi lorsque j’ai vu arriver la petite voiture. Un de ces petits monstres tout ronds qui semblent taillés sur le modèle des tonneaux. Une femme en est descendue. Une femme à chignon. Et j’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’une assistante sociale car à l’époque elles portaient, toutes, un chignon… C’est une des petites choses dont je me souviens.
De son bolide, elle a fait descendre un jeune enfant.
Un petit garçon de six ou sept ans, bien propre, le visage rond, les cheveux milongs coupés en frange sur le front, d’apparence calme et tranquille mais qui affichait cette physionomie un peu ahurie que portent tous les gens gravement préoccupés.

Et ce petit enfant avait de quoi s’inquiéter, avec tout ce qui venait de lui arriver.
Le « chignon » a saisi un petit bagage, un ridicule sac de gymnastique orné d’un logo pour de l’eau gazeuse, puis elle a jeté un regard autour d’elle, cherchant quelque chose.
Ne voyant que moi sur la placette, elle s’approche :
« La maison des fous, c’est cette grande maison ? » a-t-elle demandé.
Jamais je n’oublierai le regard que m’a jeté l’enfant à ces mots-là.
Interloqué ? Terrifié ? Epouvanté ?
Je ne saurai jamais, mais je ne suis pas près d’oublier la grimace qui a carrément tordu sa petite figure jusqu’à présent sereine.
Que pouvais-je répondre, pris au dépourvu par une telle entrée en matière ?
« Maison des fous ? Mais c’est un institut de rééducation psychothérapique, un foyer, quoi ! » dis-je en montrant la plaque du « château » :

LE HOME
Foyer d’accueil
Rééducation psychothérapique

Elle a hoché la tête en faisant la moue. Pas vraiment pour s’excuser, mais pour mieux contre-attaquer :
« Eh bien oui ! Un institut de rééducation psychothérapique. C’est ce que je disais ! »
Et sa voix résonna comme si elle disait : « Et puis, qu’est-ce que vous en savez, vous ? C’est moi, la travailleuse sociale ! Tenez-le-vous pour dit !»
Elle s’est avancée, tirant derrière elle ce petit garçon pour lequel j’éprouvais déjà une authentique sympathie.

Chapitre 2

Nous avons tous derrière nous un certain nombre de « première fois ». La première fois où nous avons pénétré dans un endroit inconnu tandis que, derrière nous, la porte se refermait irrémédiablement, nous laissant seuls avec cette
pensée affolante : « Il faut y aller, il n’y a plus de retour en arrière ! »
Quel souvenir ce petit garçon gardera-t-il de son arrivée ? Car c’est la première fois qu’il vient ici, dans un établissement dit « de rééducation »… Après une matinée d’enfer, en sortant de l’école accompagné par une gendarme !


En deux mots, voici ce qui s’est passé :
Ce matin il est parti à l’école comme d’habitude. Il habite chez sa grand-mère car plus personne ne sait où sont ses parents. En fugue ? Disparus ? Vaporisés ? Personne ne sait !
Chez la grand-mère (une très vieille dame), tout se passe bien et ce matin, le petit garçon est parti à l’école comme tous les jours : vêtu un tablier propre et repassé, un coup de peigne dans les cheveux et les devoirs du soir, dans son cartable, bien faits.
Mais, vers onze heures, alors que, sur la place du marché, elle négociait le prix d’une botte de radis, la grand-mère a eu la stupide idée de faire un bel AVC ! Le SAMU - arrivé très vite - l’amène sans plus de façon vers l’hôpital. Ni vue, ni connue, une vieille dame vient de disparaître de la communauté de cette petite ville.

Disparue ? Pas tout à fait, heureusement, car l’incident a eu lieu sur la place, au milieu des chalands, et il s’est trouvé quelqu’un pour la reconnaître et expliquer aux gendarmes à qui ils avaient affaire : Mme Michou (c’est son nom) habitait à telle adresse avec son petit-fils.
Apprenant l’existence du petit garçon, le brigadier-chef se trouva bien ennuyé et il envoya une des leurs chercher le petit pour l’accompagner chez le juge des enfants qui pourrait prendre une décision sur l’avenir de ce gamin.
Nous connaissons bien le juge des enfants. Un brave type ce magistrat : après avoir essayé - avec des mots de juge, mais quand même un peu d’humanité d’expliquer au petit ce qui lui arrivait, il l’a orienté, sans attendre, dans le centre le plus proche : notre institut de rééducation ! ! !

C’est une assistante sociale inconnue qui l’a accompagné et c’est bien ce petit équipage que j’ai croisé sur la placette du village. Au passage de la grille, j’ai cru déceler un mouvement de recul, une sorte de tentative pour différer ce sale et méchant moment de la plongée dans l’inconnu.
S’enfuir ?
Peut-être y-a-t-il pensé ? Mais, maintenu par la main solide de son accompagnatrice, il a fini par avancer et s’est retrouvé bientôt dans le bureau du directeur. Piégé !

Chapitre 3

Notre établissement est du genre moderne : il est doté d’un label « démarche qualité ». Toutes sortes de procédures écrites, soigneusement répertoriées, codifient son fonctionnement, permettant ainsi à cette vieille maison de « bien tourner » comme le demandent les autorités de tutelle. Chaque geste, chaque moment, chaque situation préalablement décrite dans des fiches et des consignes numérotées doit trouver une réponse adéquate (et toujours la même si possible, il s’agit de se faciliter l’existence en faisant des croix dans les cases appropriées !). L’arrivée d’un petit nouveau est longuement détaillée : d’abord les pièces administratives du dossier, bien sûr, puis les personnes habilitées à : l’éducateur (qui va devenir « référent ») le médecin, l’infirmière, l’assistante social du Centre, la psychologue.
Pour cet enfant que le chef de service vient de me confier, je devrais cocher les bonnes cases en suivant le parcours de son intégration.

Et donc l’enfant va suivre, un peu comme à l’armée autrefois, sa chaîne d’incorporation.

Il entendra Madame José, l’A.S de l’établissement, cette fois-ci, (mais comment s’y reconnaître lorsque l’on n’a que sept ans ?) l’interroger sur son histoire. Une toute petite histoire qui n’a guère commencé que ce matin quand une gendarmette est venue le chercher à l’école. Une histoire que cette brave dame, de la vieille école, va transcrire en quatre lignes sur une feuille de papier vierge qu’elle rangera dans un dossier encore vierge lui aussi.
Il verra l’infirmière, à défaut du médecin qui ne vient qu’une fois par semaine et qui, bien sûr, ne va pas se déranger pour une admission. Il a fait répondre par sa secrétaire qu’il recevra ce petit garçon un peu plus tard, lors de sa prochaine visite au Centre.
Cette infirmière est une grosse blonde avec une tignasse folle qui lui descend sur les épaules et le long du dos. Ficelé sur la tête, un étonnant ruban rose lui encadre les joues. Ses ongles longs, manucurés, sont vernis en orange. Mais quelle idée de se fabriquer une tête à faire pleurer les bébés quand on travaille avec des enfants ?

Cependant, le petit nouveau n’y prend pas garde. Il y a trop de choses nouvelles, et, d’abord, pourquoi tiennent-ils tous à lui faire changer de vêtements ? Car la lingère qui tient avec vaillance le rôle de l’officier d’ordinaire va lui distribuer, avec la même indifférence qu’elle distribue l’herbe à ses lapins, une paire de draps et un premier paquetage de linge !
Ce paquetage porte un nom : la vêture… Le mot date un peu. Il désignait autrefois la prise de l’habit religieux dans un monastère. Il désignait aussi les vêtements que l'on fournissait aux indigents.
Eh bien, chez nous, c’est les deux à la fois : un rhabillage complet et, aussi, une manière subtile, mais nette, d’expliquer : « Maintenant, tu es cuit ! Te voici enfermé comme une novice dans un couvent, c’est-à dire en institution. » Et personne n’a le courage ou la charité de prévenir : » Tu ne le sais pas encore mais tu viens d’en prendre - sans avoir rien fait pour cela - jusqu’à ta majorité. C’est comme ça, il n’y a pas moyen de faire appel ! »

Le voici habillé d’un pantalon reprisé, d’une chemise trop grande et il porte de curieuses sandales en plastique comme s’il allait à la plage. « Il n’y a que ça de disponible. Demain, tu iras avec ton éducateur t’acheter de jolies chaussures » a dit la lingère.
« Mais pourquoi je ne peux pas garder les miennes ? »
La lingère, surprise, est restée muette. Personne ne lui avait posé une telle question et, devant son air ahuri, l’enfant a compris qu’il n’aurait pas d’explication, c’est comme ça !

C’est moi, ensuite, qui a guidé ce petit garçon dans la chambre que m’a désignée le chef de service. Une chambre déjà occupée par quatre autres garçons. Trois lits d’un côté, deux de l’autre. Celui près de la porte est libre, ça tombe bien : ce sera le sien, lui expliqué-je, honteux de lui mentir car cette place près de la porte est en réalité l’endroit le plus bruyant.
Les autres ne sont pas encore là mais le désordre de la chambre raconte l’insouciance, et peut-être l’incohérence, de ses occupants : le linge en vrac et les chaussures en pagaille semblent illustrer une fuite paniquée.

Le garçonnet étale ses maigres affaires sur le lit. Les vêtements que l’on vient de lui donner ne lui plaisent pas. En état de sidération depuis que la gendarmette s’est pointée dans sa classe, ce matin, il n’a pas eu l’occasion de le dire ou peut-être qu’il n’ose pas s’opposer à ces grandes personnes qui décident de tout, ignorant son avis.
Pourquoi de nouveaux habits lorsqu’il y en a une pleine armoire, chez Mamie ?

Livre papier
14,90€
PUBLIÉ LE : 27/04/2020
ISBN : 9791026283768
FORMATS : Broché - 140x216
PAGES : 180
Livre numérique
5,99€
PUBLIÉ LE : 27/04/2020
ISBN : 9791026253518
FORMATS : PDF - EPub - MobiPocket

https://www.librinova.com/librairie/regis-granier-2/le-petit-garcon-qui-voulait-grandir

 

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