Les résultats des tests du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) montrent que, d’une manière générale, le niveau scolaire tend à se dégrader. Entre 2020 et 2023, on observe par exemple une baisse du score obtenu en lecture et en science, mais surtout en mathématiques.
Au-delà de la moyenne des élèves, la différence de score entre les élèves favorisés et défavorisés est flagrante : le score moyen en mathématiques est en effet de 534,5 pour les premiers alors qu’il n’est que de 421,9 pour les seconds. Et ce n’est là qu’un exemple.
L’impact de l’origine socioéconomique des élèves sur différents indicateurs de leur réussite scolaire a tendance à s’être accentué ces 50 dernières années partout dans le monde. C’est le cas également en France, malgré les politiques mises en place pour tenter de le réduire.
Soutenir les élèves en difficulté
S’il existe plusieurs manières de lutter contre les inégalités scolaires, la plupart des approches développées ces dernières années ont principalement traité la question sous un angle individuel.
Il s’agit en effet le plus souvent d’aider les élèves fragiles sur le plan scolaire et/ou socioéconomique à changer leur manière d’être et de penser pour que celles-ci soient plus favorables à la réussite scolaire. Ces réponses prennent alors la forme d’interventions psychosociales consistant à inciter, par exemple, les élèves à faire évoluer leurs attitudes pour adopter un mode de fonctionnement plus en lien avec les attentes de l’école.
Les travaux notamment sur le développement des « états d’esprit de croissance » (« growth mindsets »), ou ceux sur la persévérance scolaire (« grit ») en sont des exemples. Les premiers montrent que des exercices relativement simples peuvent être mis en place pour inciter les élèves à ne pas considérer l’intelligence comme une donnée fixe mais comme le résultat d’efforts réguliers. Est alors utilisée la métaphore du cerveau comme muscle qui a besoin de travailler pour être plus fort. La seconde consiste à faire réfléchir les élèves aux bénéfices de la persévérance scolaire.
Bien que la capacité de ces interventions à réellement réduire l’écart de performance entre élèves favorisés et défavorisés soit encore sujette à débat dans la recherche (qu’il s’agisse des growth mindsets ou du grit), ces interventions rencontrent un certain succès auprès des enseignants, des chercheurs, des personnes en charge des politiques éducatives. En témoigne la mise en place, par exemple, d’une « semaine de persévérance scolaire »).
Inégalités scolaires : les limites des approches individuelles
Ces interventions présentent de nombreux avantages, à commencer par le fait qu’elles sont relativement simples à mettre en place et peu coûteuses. Elles ont donc effectivement leur place à l’école. Cependant, au-delà du fait qu’elles produisent des effets de petite taille, souvent de courte durée, ces interventions peuvent donner l’impression qu’il existe des solutions simples à un problème aussi complexe que celui de la reproduction des inégalités éducatives.
Certains auteurs alertent d’ailleurs sur le risque de se focaliser exclusivement sur des interventions de nature individuelle. En effet, si ces interventions peuvent être utiles pour aider les individus à faire face à des difficultés, elles ne remettent pas en cause le système qui génère ces difficultés.
Apprendre aux infirmières à gérer leur stress est sans doute très efficace pour leur permettre de moins souffrir de la surcharge de travail mais n’allège pas la charge de travail. Prendre du paracétamol est très efficace pour atténuer la douleur liée au fait de porter des charges lourdes mais ne rend pas ces charges plus légères. Il en est de même avec l’éducation. Aider les élèves en difficulté à mieux faire face aux exigences d’un système scolaire parfois dysfonctionnel est très utile mais ne fera pas disparaitre ces dysfonctionnements.
Par ailleurs, si l’on considère que le principal problème de l’éducation est le manque de persévérance des élèves en difficulté ou le fait qu’ils n’adoptent pas le bon état d’esprit, on peut penser qu’il n’y a pas besoin de remettre en cause le fonctionnement même du système éducatif. Cette vision a quelque chose de rassurant. Elle profite au passage aux élèves et aux familles favorisés, qui peuvent ainsi justifier leur propre réussite scolaire, légitimant en quelque sorte les avantages que cette réussite scolaire procure ensuite au sein de la société.
Aussi, pour reprendre une terminologie utilisée récemment pour parler des femmes, chercher à « réparer les élèves issus de bas statut socio-économique » ne devrait pas nous dispenser d’intervenir également sur les systèmes et les structures dans lesquels ils évoluent et qui contribuent, bien plus largement, à la reproduction des inégalités scolaires.
Comment agir à l’échelle du système scolaire ?
Il est difficile d’agir « sur le système ». C’est d’ailleurs probablement l’une des raisons pour lesquelles, à défaut de pouvoir le faire, les chercheurs et les enseignants tentent d’abord de changer les individus. On peut toutefois émettre des suggestions en ce sens. Par exemple, on sait que l’existence même d’un système d’éducation privée contribue grandement à la reproduction des inégalités. En effet, les établissements privés ont une proportion d’élèves issus de familles aisées plus élevée que les établissements publics (un écart qui s’agrandit un peu plus chaque année) et ont également davantage de moyens.
Si, entre 2016 et 2023 le financement des écoles privées par l’État a augmenté de 1,2 milliard d’euros, pour le public, le financement est resté constant, autour de 6,8 % du PIB. Repenser le soutien apporté à l’éducation privée serait un changement structurel, certes, bien plus difficile à mettre en place qu’une intervention de nature individuelle, mais non moins essentiel pour agir durablement sur les inégalités.
De même, le fait que les inégalités persistent au sein du système éducatif n’est pas totalement décorrélé du fait que la société pour laquelle ce système œuvre est elle-même caractérisée par l’existence d’importantes inégalités entre les groupes, les métiers et les positions sociales.
Le niveau de réussite scolaire étant l’un des principaux éléments orientant les élèves vers des positions sociales plus ou moins avantageuses sur le plan économique, la compétition y est rude. La pression autour de la réussite scolaire serait probablement moins forte si les positions sociales auxquelles cette réussite (via les diplômes) permettait d’accéder étaient moins inégales entre elles.
Des approches complémentaires
Nous avons vu que les interventions centrées sur les individus dont il est question dans cet article ne peuvent être une solution miracle. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les utiliser en classe, bien au contraire, car elles peuvent justement aider les élèves, et servir en quelque sorte de palliatif aux dysfonctionnements qui existent au sein du système éducatif.
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Il faut simplement garder à l’esprit qu’une intervention psycho-sociale à elle seule a peu de chances de changer le destin d’un élève, tout comme l’implémentation généralisée de telles interventions a peu de chance de suffire à réduire les inégalités éducatives. Parce que l’apprenant n’est pas qu’une personne voulant ou ne voulant pas apprendre, adoptant un bon, ou un mauvais état d’esprit.
Réussir à l’école, c’est aussi être dans des conditions sereines pour apprendre, pouvoir être optimiste sur son avenir et ne pas s’inquiéter pour son insertion professionnelle et plus largement sa vie d’adulte. C’est également avoir des relations sociales épanouies et des enseignants correctement formés et pouvant eux-mêmes travailler dans de bonnes conditions et utiliser, grâce à leur expertise, les méthodes les plus efficaces possibles pour l’ensemble de leurs élèves.
Adrien Fillon, Docteur en psychologie, Université Clermont Auvergne (UCA) et Céline Darnon, Professeure de psychologie sociale, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.