D’après l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), plus de huit étudiants sur 10 déclarent avoir été confrontés à une situation de précarité au moins au cours de l’année. Cette valeur est stable au fil des dernières enquêtes sur les conditions de vie, conduites en 2010, 2013 et 2016.
Cette valeur très élevée est à nuancer dans la mesure où elle recouvre des situations assez différentes. Le niveau de précarité économique n’est pas de même nature lorsque l’on affirme « se restreindre », « avoir un découvert à la banque », ou « avoir fait une demande d’aide d’urgence au cours ».
En revanche, on estime à près de 17 % les étudiants qui se sentent en situation de très grande précarité. Il s’agit de ceux qui jugent que leurs ressources sont insuffisantes et qu’ils rencontrent des difficultés financières importantes et très importantes. C’est à ces étudiants en situation de fort ressenti de la précarité que nous allons nous intéresser.
Critère de l’âge
L’importance du sentiment de précarité chez les étudiants s’inscrit à plusieurs titres dans une trajectoire de vie. Les différents travaux de sociologie démontrent d’abord que ce ressenti émane en grande partie d’une comparaison avec une situation antérieure.
Ainsi, des étudiants issus de catégories sociales favorisées peuvent avoir un sentiment de précarité fort si leur situation se dégrade. À l’inverse, des étudiants en situation de précarité objective peuvent ne pas témoigner de ce ressenti quand leur situation s’améliore, même si elle reste précaire.
D’autre part, le ressenti de la précarité s’accentue avec l’avancée dans l’âge adulte – notons qu’on mesure l’entrée dans la vie adulte par l’âge, la mise en couple, la paternité, le départ du foyer parental et l’entrée sur le marché du travail.
Comparés aux étudiants de moins de 20 ans, les étudiants âgés de 20 ans à 22 ans ont une probabilité 1,5 fois supérieure d’avoir un fort ressenti de précarité. Ce taux atteint une valeur 2,5 fois plus élevée pour les 25 ans et plus.
Statut personnel
Le ressenti d’une forte précarité augmente aussi avec l’autonomie résidentielle. Les étudiants ayant quitté le domicile parental et indépendants éprouvent 1,3 fois plus souvent ce sentiment que ceux qui continuent à vivre chez leurs parents.
Cette situation s’inscrit dans un contexte de crise du logement dans les territoires. Le coût financier de l’accès à un logement autonome, la capacité à mobiliser une aide financière de la famille et des aides publiques vont jouer un rôle socialement différencié sur l’autonomie résidentielle et le renforcement du sentiment de précarité.
Dans le même ordre de grandeur, c’est aussi le cas pour les étudiants qui ont une relation amoureuse stable par rapport à ceux qui ne sont pas en couple. Il est probable que ce ressenti plus fort de la précarité est lié au sentiment de responsabilité envers la compagne ou le compagnon, mais aussi, le cas échéant, envers les enfants.
Une observation plus fine montre que, comme pour l’ensemble de la population, pour les étudiants ayant une relation amoureuse stable, le fait d’avoir des enfants renforce le sentiment de précarité quand on ne vit pas avec son conjoint, et le diminue quand on vit avec son conjoint.
Aide familiale
Il est très difficile de mesurer l’aide familiale, celle-ci étant de nature très diverse, entre versements d’argent, soutien financier indirect ou aides matérielles informelles – achat de matériel, don de meubles, repas, etc.
Dans tous les cas, son importance symbolique ne fait pas de doute. Ainsi, les étudiants qui bénéficient d’une aide familiale totale ont plus fréquemment un fort ressenti de la précarité que ceux qui bénéficient d’une aide partielle. Il est probable que ce soit lié en grande partie à la dépendance financière aux parents qui en résulte.
Pour ceux qui ne reçoivent aucune aide financière de leur famille (des étudiants issus des classes populaires et moyennes pour grande partie), le sentiment de précarité économique peut être lié à cette impossibilité à mobiliser une aide dont la symbolique est importante.
Stratégies
Le fait d’avoir une activité rémunérée joue aussi un rôle sur le sentiment de précarité. Ainsi, les étudiants qui ont une activité rémunérée concurrente des études éprouvent 1,5 fois plus souvent un fort sentiment de précarité que ceux qui n’ont pas de job étudiant.
Ces étudiants en situation de grande fragilité économique, avec un fort ressenti de leur précarité forment un groupe assez hétérogène qui se distingue dans la manière de faire face à cette situation.
Là encore, les comportements se différencient selon l’avancée dans l’âge adulte. Ainsi, les étudiants les plus âgés vont accepter la contrainte d’un travail (très) concurrent des études, tandis que les plus jeunes vont accepter de se restreindre sur l’alimentation et les sorties ou renoncer par exemple aux soins médicaux.
Philippe Cordazzo, Professeur de démographie, directeur adjoint du laboratoire SAGE, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de notre partenaire The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.