Les salles de classe se sont vidées, mais l’école ne s’arrête pas. C’est le message que le ministère de l’Éducation nationale s’est employé à répéter aussitôt annoncée la fermeture des établissements scolaires le 12 mars, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Mais la « continuité pédagogique » que les professeurs s’efforcent d’assurer au jour le jour peut-elle vraiment bénéficier à tous de la même manière ?
Plus que jamais, dans un contexte de confinement où le numérique devient le principal canal d’échanges, l’équipement des familles en la matière est décisif. Les apprentissages des plus jeunes reposent davantage sur les parents, leur rôle dans l’accompagnement aux devoirs des adolescents se renforce. Or on sait que les parents n’ont pas la même maîtrise des codes scolaires, ni le même accès aux ressources culturelles « compensatoires ».
Une situation prolongée de confinement pourrait représenter un risque important pour les élèves les plus vulnérables sur le plan socio-économique. Retour sur les travaux de recherche issus de la psychologie, de la sociologie et des sciences de l’éducation qui amènent à s’en inquiéter.
Conditions matérielles, codes culturels
Il existe d’ores et déjà un écart dans les performances scolaires des enfants de milieux favorisés et défavorisés. Il y a de nombreuses raisons de prédire que la situation de confinement va rapidement l’accentuer. En premier lieu, il convient bien entendu de souligner que le vécu du confinement dépend des conditions matérielles de vie.
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Dans les milieux défavorisés, les enfants disposent de moins d’espace et sont donc susceptibles d’avoir plus de difficultés à travailler dans le calme. Et, contrairement aux familles disposant d’un jardin ou d’une cour privée, les enfants vivant en appartement n’auront que très peu d’opportunités pour sortir.
C’est un point important car les activités physiques contribuent au développement des fonctions exécutives (ces facultés de perception et de raisonnement qui aident à anticiper des tâches, les planifier, élaborer des stratégies). Et ces fonctions sont très utiles pour le travail scolaire.
Rappelons aussi ces données de l’Insee sur la fracture numérique évoquée plus haut : 71 % des familles les plus modestes sont équipées en ordinateur contre 91 % au sein des 20 % les plus aisés.
Au-delà de ces contraintes matérielles, on sait depuis les travaux de Pierre Bourdieu que les pratiques, le langage, les valeurs qui sont à l’œuvre au sein du système éducatif sont plus en adéquation avec ceux des familles aisées que ceux des familles plus défavorisées. Aussi, même s’ils avaient le même accès matériel aux ressources pédagogiques – ce qu’ils n’ont pas bien sûr – les parents de bas statut socioéconomique auraient plus de probabilités de rencontrer des difficultés pour suivre le travail scolaire de leurs enfants.
Bien entendu, cela ne signifie pas qu’ils sont moins compétents que les parents de milieux plus favorisés pour accompagner la scolarité de leurs enfants, mais simplement qu’ils sont moins familiers avec l’arbitraire culturel de l’école, ce qui risque de les mettre en difficulté dans l’accompagnement aux devoirs.
En ceci, il faut bien distinguer le souci de bien accompagner la scolarité des élèves, présent chez tous les parents, entre autres, parce que tous ont conscience de l’importance de la scolarité et des diplômes pour l’avenir de leur(s) enfant(s), des conditions d’accompagnement, qui elles, sont très dépendantes du niveau de vie.
Le risque d’un « revers du confinement »
Un effet bien connu des chercheurs en éducation est l’effet « revers de l’été ». En effet, pendant l’année scolaire, les enfants issus de familles avantagées et ceux issus de familles défavorisées sur le plan socio-économique affichent des gains assez similaires.
Pendant les mois d’été en revanche, de grandes disparités apparaissent : les compétences scolaires des enfants de statut socio-économique élevé continuent à progresser alors que la courbe de progrès s’aplatit (voire s’inverse) pour les enfants venant de familles défavorisées. Cet effet est étayé par de nombreuses études. Par exemple, c’est surtout pendant la période d’été que les progrès en lecture d’élèves de CP-CE1 corrèlent avec l’origine sociale des élèves.
De même, une étude longitudinale réalisée sur des cohortes d’élèves suivies de l’école primaire à l’âge de 22 ans a montré que les différences qui apparaissent pendant les mois d’été au cours des années d’école élémentaire expliquent en grande partie les différences de réussite selon le statut socio-économique dans l’enseignement secondaire, ainsi que la probabilité de s’engager dans une filière de l’enseignement supérieur.
Les vacances d’été ne durent que deux mois chaque année et nous venons de voir que les effets qu’elles produisent sur la scolarité des élèves sont larges et durables. Il y a donc de fortes raisons de s’inquiéter de la situation de confinement, surtout si celle-ci doit se prolonger et qu’aucune action n’est mise en place pour en contrer les effets négatifs.
Retenons que tout ce qui n’est pas fait à l’école est inégalement fait dans les familles et est donc susceptible de devenir une compétence « discriminante », c’est-à-dire une compétence qui sera mieux maitrisée par les élèves de milieux aisés que par les élèves de milieux défavorisés.
Un besoin d’aide urgent
Les premières semaines, il fallait prendre des mesures d’urgence ; mais avec le temps et la prolongation de ces mesures, de nouvelles questions se posent. Dans leur rapport du 23 mars, le conseil scientifique Covid-19 (dont pourtant aucun membre n’est psychologue) commence à alerter sur les « effets psychiques » du confinement lorsque celui-ci s’inscrit dans la durée.
Dans la presse, les parents sont régulièrement encouragés à voir cet épisode positivement. Ce confinement serait en effet l’occasion de se retrouver en famille, de passer du temps ensemble, voire l’occasion pour les parents de se réinvestir dans la scolarité de leurs enfants.
Toutefois, il est important de retenir que la probabilité de voir apparaître de telles issues positives ou à l’inverse, de souffrir de la situation de confinement, est très fortement dépendante du milieu social dans lequel les individus évoluent. Par exemple, nous avons vu qu’avec le confinement et la fermeture des écoles, les inégalités en matière de scolarité vont très rapidement se creuser et que plus le confinement va se prolonger, plus le retard sera difficile à rattraper.
L’accélération de l’augmentation des inégalités sociales est donc l’un des risques majeurs du confinement. Ce point est essentiel puisque les travaux de recherche montrent que le niveau d’inégalités existant au sein d’une société corrèle négativement, entre autres, avec la santé physique et mentale des individus qui la composent ainsi que la qualité des relations qu’ils entretiennent entre eux.
Ajoutons qu’avec cette crise, certaines personnes vont se retrouver au chômage et la précarité risque d’augmenter. Dans ce contexte, il est urgent de concentrer les actions et les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire, ceux qui sont les plus vulnérables sur le plan socio-économique.
Céline Darnon, Professeure de psychologie sociale, Université Clermont Auvergne
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