La souffrance psychique des enfants est une problématique de santé publique majeure en France et au niveau international. De nombreux rapports publics pointent toutefois un déficit chronique de l’offre de soin, des difficultés d’accès aux pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales ainsi qu’une augmentation des prescriptions de médicaments psychotropes.
Après avoir documenté la hausse de la consommation de médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent ces dix dernières années, ainsi que les impasses des approches purement biomédicales de la souffrance psychique, nous nous intéressons ici à l’efficacité des psychothérapies – recommandées en première intention dans le soin psychique des enfants comme des adultes par l’OMS.
Psychothérapies : de quoi parle-t-on ?
Le terme de psychothérapie regroupe une large diversité de pratiques. S’il est classique de les définir par les noms des différentes méthodes disponibles (psychanalyse, pratiques psychodynamiques, psychologie clinique, approche systémique, thérapies cognitives et comportementales (TCC), psychothérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), méditation en pleine conscience, Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR)…), on peut aussi en donner une définition générique. Celle que propose le psychologue américain Bruce Wampold est assez consensuelle :
« La psychothérapie est un traitement à dominante interpersonnelle qui se fonde sur des principes psychologiques et implique un ou une thérapeute et une personne présentant un trouble mental, un problème ou une plainte. Il est conçu par le/la thérapeute pour y remédier, et est adapté ou singularisé pour cette personne spécifique et son trouble, problème ou plainte. »
Combiner les psychothérapies est fréquent. Le soin psychique de l’enfant doit en effet prendre en compte la spécificité et la diversité des approches qui font sa richesse pour s’adapter à chaque cas. Il est adressé au plus près des lieux de vie du patient, qui est considéré dans sa parole, son histoire, son rapport au corps, au langage, aux autres – et dans le respect de ses droits. D’autant qu’il y a interaction entre la sensibilité, « le tempérament » de l’enfant, et la manière dont il va traiter les données de son contexte familial, culturel et social, ainsi que son état de santé ou celui de ses proches.
De manière générale, les psychothérapies impliquent un accueil, une présence, une protection, une écoute et un espace de parole, à partir desquels s’établit une conversation. Le cadre thérapeutique devient un espace lui offrant les moyens de témoigner et de mettre au travail sa souffrance, par sa parole comme ses non-dits, ses symptômes – y compris corporels.
Le travail du thérapeute consiste à permettre que s’installe la relation au sein de laquelle l’enfant doit parvenir à trouver ou inventer ses propres solutions. Le lieu, la séance (cadre thérapeutique) et le lien (relation thérapeutique) sont les bases opératoires minimales par lesquelles s’engagent les différentes formes de psychothérapies.
Les psychothérapies se fondent donc sur la prise en compte de la singularité de l’enfant. La complexité, les détours et le temps inhérents à ce travail impliquent de multiplier les regards sur la souffrance de l’enfant, en articulant des approches pluridisciplinaires et pluriprofessionnelles, afin de porter une lumière renouvelée sur ses difficultés et son parcours.
L’évaluation des psychothérapies
Les psychothérapies ont toujours disposé de modalités d’évaluation et d’exposition propres et en adéquation à leurs fondements théoriques et cliniques. Mais le déploiement de la médecine fondée sur les preuves (ou evidence-based medicine) et du New Management des institutions publiques a imposé la recherche d’une validation scientifique de leur efficacité.
Dès leur début, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ont mis en avant le caractère scientifique de leur méthode. Une démarchefacilitée par leurs fondements expérimentaux et leur affinité avec le concept d’efficacité et la statistique.
Pour la psychanalyse ou les thérapies familiales et systémiques, cette démarche a été beaucoup plus tardive : ces approches ne sont pas fondées sur la statistique, et si les présentations cliniques constituent bien une méthode reconnue scientifiquement, elles n’emportent pas le même niveau de preuve que les études randomisées. Aujourd’hui, elles disposent cependant d’évaluations issues d’essais contrôlés randomisés (ECR) qui leur permettent de revendiquer publiquement, avec les polémiques afférentes, une efficacité sur des bases scientifiques.
Pour autant, malheureusement, l’efficacité des psychothérapies mesurées selon les critères de la médecine dite factuelle reste faible.
Une efficacité limitée
Telle est la conclusion d’une importante étude de l’équipe de Falk Leichsenring (University of Giessen) dédiée à l’efficacité des psychothérapies et des traitements médicamenteux en psychiatrie, publiée fin 2022 dans la prestigieuse revue World Psychiatry. Ce travail vient en parachever de nombreux autres, menés au cours des dernières décennies.
Plus précisément, cette étude inclut 102 méta-analyses de 3782 ECR comparant l’efficacité des pharmacothérapies et des psychothérapies de 650514 adultes présentant un trouble mental (stress post-traumatique, insomnie, hyperactivité, troubles dépressifs, anxieux, obsessionnels compulsifs, alimentaires, liés à l’utilisation de substances, du spectre de la schizophrénie et bipolaires) face à des placebos ou à des traitements habituels.
Toutes ont été publiées après 2014, et leur présentation permettait une évaluation de la qualité et des risques de biais. Ceci comprenait 26 comparaisons entre psychothérapies et placebo ou traitement habituel, 11 comparaisons de psychothérapies par rapport à des pharmacothérapies et 13 comparaisons de psychothérapies et pharmacothérapies combinées à une monothérapie.
L’ampleur de cette étude, et sa publication dans un journal prestigieux, en font une référence incontournable.
Toutes les études montraient une efficacité supérieure des traitements psychothérapiques par rapport au placebo, mais avec une taille d’effet faible : la différence standardisée des moyennes était en moyenne de 0,34 – 0,31 pour la dépression, sachant que 20 % des études présentaient un faible risque de biais, et que, lorsque ces risques étaient pris en considération, les tailles d’effet étaient systématiquement plus faibles.
Seules les psychothérapies des syndromes de stress post-traumatique et des troubles limites de la personnalité obtenaient des scores légèrement supérieurs à 0,5, ainsi que celles des troubles obsessionnels compulsifs (légèrement supérieur à 1), ce dernier résultat étant cependant difficile à interpréter en raison de nombreuses co-prescriptions de psychotropes.
Concernant l’efficacité, pour la dépression, la rémission était obtenue chez 43 % des patients en thérapie, 33 % des patients en traitement habituel, et 23 % des patients dans un groupe placebo. Aucune différence significative n’a été mise en évidence entre les différents types de psychothérapies, un résultat déjà connu par ailleurs.
Dans les comparaisons en face à face psychothérapie-pharmacothérapie, les tailles d’effet étaient globalement très faibles mais toutes en faveur des psychothérapies. Pour les troubles dépressifs, anxieux et des syndromes de stress post-traumatique, aucune différence n’était observée entre psychothérapies et pharmacothérapies.
S’agissant des traitements combinés psychothérapie-pharmacothérapie versus monothérapie, les tailles d’effet étaient à un nouveau uniformément faibles, et toutes en faveur des traitements combinés.
Quel bénéfice clinique ?
Ces chiffres sont difficiles à interpréter pour les non spécialistes. Des équivalences avec des échelles cliniques et l’interprétation des seuils à partir desquels les tailles d’effet peuvent être considérées comme significatifs ont donc été proposées, par exemple avec la MCID (Minimal Clinically Important Difference).
Pour la dépression, une amélioration est considérée comme cliniquement significative lorsqu’elle est supérieure à 7 sur l’échelle de Hamilton, qui mesure la symptomatologie dépressive sur un score allant de 0 à 52 (plus la note est élevée, plus la dépression est grave). Ceci correspond à une taille d’effets de 0,88, soit très au-delà des efficacités expérimentalement observées, tant pour les pharmacothérapies que pour les psychothérapies : les 0,3 à 0,5 observé correspondent à des scores Hamilton de 2 à 4 points, à peine décelables par les cliniciens (et sans grand effet pour les patients).
Quasiment tous les résultats pris en compte dans la somme publiée dans World Psychiatry pourraient être considérés comme « cliniquement non importants ». Et les auteurs concluent que leur étude met en évidence « un gain supplémentaire limité pour les psychothérapies et les pharmacothérapies […] ». Ils ajoutent qu’« un plafond semble avoir été atteint avec des taux de réponse inférieurs à 50 % et la plupart des différences standardisées des moyennes ne dépassant pas 0,40 ».
Pour autant, précisent-ils, « il ne faut pas y voir une conclusion nihiliste ou dédaigneuse, car il ne fait aucun doute que certains patients bénéficient des traitements disponibles ». On observe en effet une variabilité notable dans les résultats individuels, certaines personnes bénéficiant nettement plus que d’autres des approches thérapeutiques proposées.
Vers un changement de paradigme ?
Considérant la faible efficacité des résultats obtenus, Falk Leichsenring et ses collègues estiment qu’« un changement de paradigme dans la recherche semble nécessaire pour réaliser de nouveaux progrès ».
Ils ne sont pas les premiers. En 1976, le psychiatre britannique Robert Evan Kendell écrivait dans le British Journal of Psychiatry : « Au cours des cinquante dernières années, et particulièrement des vingt dernières, d’innombrables classifications différentes de la dépression ont été proposées, et plusieurs querelles couvent entre les protagonistes d’écoles rivales. » Le même constat de confusion était porté en 2008 par James Cole (King’s College London), qui ajoutait que « nos nosologies (partie de la médecine qui étudie les critères servant à définir les maladies afin de le classer) restent des “hypothèses de travail” et n’ont pas plus de validité que les définitions de la dépression qui existaient lorsque Kendell a écrit en 1976. Par conséquent, la “vraie” classification de la dépression reste aussi insaisissable qu’il y a 30 ans ».
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En 2019, ce constat était toujours d’actualité, comme le pointaient Pim Cuijpers (professeur en psychologie clinique, Amsterdam Public Health Research Institute), ainsi que le psychiatre Caleb Gardner (Cambridge) et le spécialiste en anthropologie médicale Arthur Kleinman (Harvard) dans des travaux que nous avons cités dans notre précédent article : se baser exclusivement sur des altérations biologiques pour comprendre et traiter un trouble mental est une approche que l’on sait désormais trop limitée.
Mais, souvent, « le message qui prévaut pour le grand public [et une partie du corps médical], est encore que la solution aux troubles mentaux consiste à faire correspondre le bon diagnostic au bon médicament ».
Ces propos concernaient les pharmacothérapies… Mais ils valent tout autant pour les psychothérapies ! Car l’épistémologie des troubles qui prévaut dans ce champ repose majoritairement sur le même modèle biomédical que celui du médicament : faire correspondre le bon diagnostic à la bonne psychothérapie.
Or c’est précisément cette logique (cause biologique simple = traitement simple) qui pose problème.
La réalité des problématiques de souffrance et de soin psychique de l’enfant est complexe et multifactorielle. Elle implique les différentes facettes de l’enfant – sa personnalité, ses éprouvés et ses émotions, son rapport à lui-même, ses liens familiaux et son environnement, son parcours scolaire et ses attaches culturelles… D’où la faible efficacité mesurée des approches thérapeutiques simplistes de court terme, protocolisées, et mises en œuvre par des professionnels peu ou mal formés.
L’ontologie des troubles mentaux, qui est au principe de l’évaluation des psychothérapies, est contrainte par les méthodologies de la la médecine fondée sur les preuves, dont les exigences légitimes de preuves statistiques ont pour effet de bord malheureux qu’elles empêchent le développement même des approches efficaces qu’elles souhaitaient évaluer. Autrement dit, les critères de la médecine basée sur les faits ne sont pas les outils les plus adaptés pour saisir la complexité à l’œuvre dans les pratiques de soin psychique à destination des enfants.
Ces limites inhérentes se doublent de critiques récurrentes : inconsistance des résultats de la recherche, qui plus est inapplicables aux pratiques in situ, biais scientifiques et médiatiques, conflits d’intérêts, collusion entre recherche, médecine factuelle et politiques de réduction des coûts de santé…
Ouverture et perspectives : éduquer, accompagner, prévenir…
Ce n’est rendre service à personne que d’écarter la complexité. Et les troubles mentaux sont irréductiblement complexes et singuliers… D’une part ils rassemblent de facteurs en interactions multiples au sein d’une même personne et, d’autre part, ils relèvent de plusieurs niveaux explicatifs : biologiques, psychologiques, biographiques, relationnels, contextuels, sociaux, environnementaux…
Les théories et les pratiques inhérentes aux pathologies et aux thérapeutiques psychiques doivent en tenir compte, pour ouvrir le champ des possibles. C’est ce qu’on voit émerger dans la littérature scientifique internationale autour d’approches plus personnalisées, reposant moins sur des protocoles standardisés, et tirant profit des nouvelles possibilités d’observation et d’évaluation offertes par des traitements statistiques et des outils technologiques innovants.
De façon pragmatique, il faudra mettre en œuvre des dispositifs et des politiques de soin adaptés aux difficultés rencontrées par les enfants et les familles, et soutenir la diversité des pratiques thérapeutiques sérieuses. Ces approches sont mobilisables et leur bonne articulation serait à même de répondre à la complexité des problématiques de santé mentale.
Ayant pour point commun de mettre l’enfant, sa famille, son histoire et son environnement au cœur de l’offre de soin, elles devraient s’inscrire dans un temps qui ne serait pas déterminé à l’avance, mais établi selon la singularité des situations…
Autant de perspectives vers lesquelles, de l’avis même de l’Organisation Mondiale de la Santé en 2022, l’effort doit désormais être porté.
Tous les articles de la série « Santé mentale et soins psychiques de l'enfant » sont co-ecrits par Sébastien Ponnou et Xavier Briffault ; l'ordre des auteurs n'emporte aucune conséquence sur l'importance de leurs contributions respectives.
Sébastien Ponnou, Psychanalyste, Maître de Conférences en Sciences de l'Education à l'Université de Rouen Normandie, Université de Rouen Normandie et Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.