Les violences sexuelles sont fréquentes en milieu universitaire et touchent environ 30 % de la population étudiante. Une réalité longtemps taboue mais qui surgit à la une de l'actualité en ce mois de février 2020 avec la multiplication sur les réseaux sociaux de témoignages d'étudiants, ou anciens étudiants, sur des faits de harcèlement et d'agressions, notamment sur Twitter avec le hashtag #sciencesporcs.
Les victimes de ces agressions, viols ou harcèlements sexuels sont essentiellement des femmes et les auteurs des hommes. Dans 9 cas sur 10, les victimes connaissent leur agresseur qui peut être le petit copain, un partenaire romantique ou un autre étudiant.
Il s’agit le plus souvent d’obtenir des victimes qu’elles s’engagent dans une relation sexuelle en dépit d’un consentement clair et réitéré, voire en outrepassant leur refus initial. Ces manipulations coercitives peuvent consister en manœuvres de séduction insistante avec des contacts physiques, en manipulations verbales et psychologiques ou en tentatives de culpabilisation. Elles peuvent s’appuyer sur la force, ou l’usage délibéré de substances psychoactives – alcool, cannabis – dans le cadre de soirées festives.
Ces violences, qui existent dans tous les milieux de vie des jeunes adultes, débutent fréquemment à l’adolescence – période où près de 20 % de relations sexuelles ne sont pas consenties. Elles s’intensifient jusqu’à 24-25 ans et diminuent par la suite.
Facteurs socioculturels
Les auteurs de ces violences peuvent partager des attitudes « normatives » négatives à l’égard des femmes. Cela va des représentations masculines « traditionnelles » sexistes, jusqu’à des formes de sexualité « agressive » avec notamment l’acceptation et la légitimation de la violence à leur encontre. Ce recours à la violence peut masquer des vécus d’insécurité, des difficultés avec la proximité affective, ou encore un besoin excessif de contrôle du partenaire.
L’adhésion aux mythes du viol favorise les violences sexuelles, tout en minorant la responsabilité et la culpabilité des auteurs. Parmi ces distorsions cognitives, il y a le fait de penser que « les femmes peuvent résister au viol si elles le souhaitent », qu’« on ne peut pas leur faire confiance », que « les hommes ont des besoins sexuels plus importants », ce qui justifierait qu’ils cherchent toutes les opportunités d’y répondre, etc.
Ces facteurs peuvent s’accompagner plus largement d’habitudes de nombreuses relations sexuelles occasionnelles, de promiscuité sexuelle et de sexualité permissive et impersonnelle. Certains hommes peuvent aussi interpréter l’intérêt amical d’une femme comme un intérêt sexuel, son absence de consentement comme une résistance feinte, sa sidération en cas d’agression comme une forme d’acceptation tacite.
Si une femme a accepté un début de romance ou a commencé à s’engager dans une relation sexuelle, certains hommes ne comprennent pas qu’elle dise non par la suite. Ils estiment qu’ils ont « droit au sexe », que la personne les a excités et est responsable de ce qui peut survenir par la suite. Les agressions contre les femmes sont facilitées par l’approbation des pairs à l’égard de rapports sexuels forcés.
Facteurs expérientiels
Les comportements sexuels à risque commencent souvent par une première expérience sexuelle précoce qui risque de provoquer une hypersexualisation, avec un plus grand nombre de partenaires, à un usage plus massif de la cyberpornographie, de l’alcool ou d’autres substances psychoactives. On parlera de facteurs expérientiels et situationnels. Mais il pourrait y avoir plusieurs cas de figure.
Certains hommes ont plus d’occasions de commettre une agression sexuelle en raison de leur activité sexuelle élevée, d’une excitation sexuelle exacerbée et d’une frustration importante quand la relation ne peut avoir lieu. Cette agression, qui pourrait même survenir après des relations sexuelles consensuelles intensives, peut être une réponse face à un vécu de privation, ou représenter une recherche de pouvoir agressif sur le partenaire féminin.
D’autres hommes n’ont pas autant de possibilités de commettre une agression sexuelle (relation différente à la sexualité, introversion, difficulté dans la relation à l’autre, etc.). Dans leur cas, l’alcool pourrait jouer un rôle de « facilitateur » dans l’agression. On retiendra que l’alcool intervient une fois sur deux dans les violences sexuelles et que son « abus » par les auteurs et les victimes est associé à une plus grande gravité de l’agression.
Les problèmes induits par l’alcool sont nombreux : focalisation à court terme des auteurs sur les « bénéfices » de l’agression, réduction de la résistance des victimes (qui est recherchée par les auteurs), augmentation des stéréotypes à l’égard des femmes qui boivent, avec l’idée que « ce qui leur arrive est de leur faute » (sous-entendu : « elles n’avaient qu’à pas se mettre dans cet état »).
Traumatismes infantiles
Des antécédents d’adversités et des expériences de traumatismes infantiles (ruptures affectives, carence, maltraitance, abus sexuel, exposition à la violence conjugale des parents) jouent un rôle dans une trajectoire de développement vers la violence et augmentent le risque de recours aux relations sexuelles coercitives.
Ces trajectoires pourraient favoriser la survenue d’une délinquance, avec un diagnostic possible de trouble des conduites dans l’enfance et l’adolescence, qui conduit souvent à un trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte – et, dans les cas les plus sévères, à la psychopathie. Ce trouble des conduites recouvre des comportements répétitifs et persistants dans lesquels les droits fondamentaux d’autrui ou les principales normes, règles ou lois sociétales sont bafouées, violées. Leur précocité augmente le risque d’une issue négative et grave à l’âge adulte.
Ces éléments sont le plus souvent « défensifs » en rapport avec le parcours infantile et notamment la difficulté d’avoir pu compter pour les autres et d’avoir pu compter sur eux. Or, ces hommes qui présentent une forte d’impulsivité, un manque d’empathie, des traits psychopathiques rendent plus souvent responsables les autres des violences qu’ils exercent, notamment des contraintes sexuelles. Ils hésitent moins à utiliser des comportements opportunistes et manipulateurs, plus ou moins violents pour surmonter la résistance de leur victime.
Lorsqu’ils ont ce profil et qu’ils commettent des violences sexuelles à l’âge adulte, ils ont plus de chances d’avoir initié ces comportements à l’adolescence.
Antédécents
Les auteurs d’agressions sexuelles répétées présentent plus de croyances hostiles envers les femmes, moins d’empathie, sont plus enclins aux manipulations et consomment plus souvent de l’alcool avant les rapports sexuels. Ils présentent aussi des antécédents de délinquance à l’adolescence en relation avec des traits psychopathiques.
Après les faits commis antérieurement, si certains hommes ont pu renoncer à ce type de conduites, d’autres, au contraire, vont continuer leurs stratégies et devenir des récidivistes avec au fil des années une plus grande acceptation du recours à la violence pour parvenir à leur fin. Cette tendance, lorsqu’elle existe, est un marqueur potentiel du fonctionnement antisocial et psychopathique et explique pourquoi le taux de violences diminue au cours des premières années universitaires, alors que la gravité des agressions augmente.
Il n’existe sans doute pas de portrait type d’un auteur de violences sexuelles. Les attitudes de sexualité « agressive » à l’égard des femmes, les consommations d’alcool et comportements sexuels à risque et les traits de la personnalité de type antisocial/psychopathique peuvent interagir. La combinaison des trois types de facteurs prédit la chronicité et la gravité des agressions.
Les jeunes adultes que sont les étudiants sont dans une période particulièrement à risque à l’égard des violences sexuelles. S’il faut évidemment aider les victimes, il faut aussi aider les témoins et surtout les auteurs de ces violences à réaliser la gravité et les conséquences de ces actes.
Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de Tours; Catherine Potard, Maitre de Conférences en Psychologie, Université d'Angers et Philippe Allain, Professeur des universités, Université d'Angers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.