Il est commun d’associer l’engagement avec la chose militaire ou politique. Et, associée à cela, apparaît souvent la notion d’idéal, de cause. Les managers le savent bien : il est essentiel que les collaborateurs soient engagés, dans le projet d’entreprise, pour le respect d’objectifs commerciaux, techniques et in fine financiers. Et d’invoquer alors les trois piliers de l’engagement : la fierté, le plaisir et la confiance.
C’est là une question abordée par les pédagogues, et les chercheurs du domaine. Roland Viau décrit l’apprentissage comme « un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans on accomplissement afin d’atteindre un but ».
L’enseignant peut-il encore se contenter d’un rôle d’intercesseur entre la connaissance et l’apprenant ? Où doit-il aussi acquérir des compétences de psychologue pour faire émerger la conscience de soi de l’élève, et enclencher la démarche d’apprentissage ? Lui faut-il devenir vendeur de son domaine, considérant l’étudiant comme le client acquéreur d’un apprentissage ?
Les descriptions officielles de l’enseignant chercheur, au cœur de la transmission des connaissances et des modes de raisonnement, ne poussent pas en ce sens. Mais dans une société numérique, où le virtuel prend souvent le pas sur le réel, où les réseaux sociaux font figure de terrain d’expérimentation de l’intelligence sociale, est-ce suffisant ?
La reconnaissance en jeu
Considéré par Stanislas Dehaene, comme un des quatre piliers de l’apprentissage, l’engagement peut être vu comme le départ d’un cercle vertueux : Engagement/Résultat/Fierté/Motivation/Engagement…
Dans le cours « Management des Opérations et de la Supply Chain » et le parcours « TechBiz » dont je suis responsable à Grenoble École de Management, j’ai pu en observer le déroulé concret. Les étudiants s’engagent d’autant plus facilement dans le processus de construction de leurs compétences que leurs productions – comptes rendus ou propositions – suscitent une reconnaissance de l’institution, par les autres élèves ou, dans le cas d’études en partenariat avec des entreprises, le donneur d’ordre.
D’où l’importance de ménager en cours des périodes de feedback et de débats, ou de mettre en place de nouveaux formats d’évaluation : fiches de bilan personnelles ou création de vidéos relatant l’expérience vécue, entre autres. La fierté qui provient du dépassement de soi (« je n’aurais jamais cru que j’aurais pu être capable de ceci ou cela ») et l’appropriation de l’image de l’institution (mécanisme de transfert de sa légitimité) nourriront alors la motivation.
Des attentes personnelles
Il apparaît alors trois autres piliers de l’engagement : la responsabilité (mes devoirs, mes contributions personnelles, mes contributions à l’équipe, mes contributions à la classe), les objectifs (ce que vais réussir à faire) et l’éthique (ce que je fais est conforme à mes valeurs et me permet de les défendre).
Deci et Ryan différencient les motivations intrinsèques et extrinsèques. Plus simplement, plutôt que de la crainte de l’erreur, et de la sanction associée, la motivation doit naître d’une attente : « voilà ce que cela va m’apporter », « voilà l’expérience que je vais vivre », et « voilà ce que je vais pouvoir apporter aux autres ». Ceci suppose l’existence d’un temps de parole permettant une verbalisation des attentes – exercice difficile au regard des contraintes temporelles – mais qui peut se faire au cours de suivis d’exercices ou de sessions de mentorat pédagogique, assurées par des managers ou des dirigeants en fin de carrière, de salariés en reconversion professionnelle.
Dans le parcours « TechBiz », douze séances de « face à face » sont organisées avec le mentor, grâce à la pédagogie de la classe inversée. Les étudiants restituent ce qu’ils ont appris sur un plan académique, pour l’appliquer sur le terrain de l’entreprise de façon très opérationnelle. Le résultat est un travail en profondeur, validé par le support d’un mentor expérimenté. Et depuis l’année dernière ce sont des équipes mixtes (étudiants de GEM et élèves ingénieurs de Polytech Grenoble) qui travaillent ensemble dans ce cadre.
L’enseignant prend alors une dimension d’éveilleur, comme dans une scène célèbre du film Le Cercle des poètes disparus où Robin Williams fait exprimer sa création à un élève sans confiance. Comme disaient les Grecs à propos de la sculpture : la statue préexiste au bloc de marbre. Il reste à présent aux enseignants de contribuer chacun à extraire de leur gangue des femmes et des hommes de qualité, ouverts à la modernité, solides sur leurs valeurs. N’est-ce pas là un objectif motivant pour engager les enseignants ?
Pierre Paul Jobert, Assistant Professor, Grenoble École de Management (GEM)
The Conversation
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