Une architecte d’intérieur devenue boulangère, un ex-banquier à la tête de sa fromagerie, ou un responsable marketing reconverti comme électricien… de telles trajectoires professionnelles, si elles restent atypiques, surprennent aujourd’hui de moins en moins. D’une part, les reconversions professionnelles se normalisent : selon le troisième baromètre de la formation et de l’emploi Centre Inffo/CSA, 21 % des personnes actives préparaient une reconversion en janvier 2022, auxquelles on peut ajouter les 26 % qui déclaraient en envisager une à terme.
D’autre part, les reconversions de Cadres ou Professions intellectuelles supérieures (CPIS) vers un métier artisanal font, en particulier, l’objet d’une mise en lumière récente, souvent sous un angle positif. On trouve ainsi de nombreux portraits de ces personnes reconverties dans la presse, tandis que certains – à l’image de Matthew B. Crawford ou d’Arthur Lochmann – rendent compte de leur expérience en l’articulant à une réflexion sur la valeur du travail « manuel ».
Ces reconversions posent pourtant un défi de taille à l’analyse des mobilités sociales, soucieuse d’identifier les déterminants de l’ascension, de la reproduction ou du déclassement social. Ce dernier peut s’analyser à l’échelle intergénérationnelle, lorsque les enfants atteignent une position relativement moins élevée dans la hiérarchie sociale que celle qu’occupaient leurs parents ; mais également à l’échelle intragénérationnelle, correspondant par exemple à la situation où un individu occupe une position professionnelle pour laquelle il s’avère surqualifié. Dans un cas comme dans l’autre, le déclassement est envisagé comme un phénomène subi. Comment, dès lors, rendre compte des reconversions de cadres vers l’artisanat ?
Pour des individus ayant atteint une position professionnelle élevée ou disposant d’un haut niveau de qualification, se reconvertir dans un métier « manuel » de l’artisanat pourrait en effet être envisagé comme un « déclassement volontaire » paradoxal. Se pose la question de ce qui motive ces mobilités professionnelles atypiques et des satisfactions que les personnes reconverties sont susceptibles d’éprouver dans leur nouveau métier.