La proposition d’interdir le port de l'abaya à l'école, mesure défendue par le nouveau ministre de l'éducation Gabriel Attal au début de l'année scolaire 2023 ravive les débats autour de la laïcité en France. La tentation est grande de donner à ce concept le statut d’une vertu politique, voire morale.
En anglais, on dispose de deux mots : toleration et tolerance. Bien que leurs significations soient très proches, toleration a été utilisé depuis des siècles dans un sens technique, pour désigner un régime, un mode d’organisation de l’État, tandis que l’anglais tolerance renvoie plutôt à la disposition personnelle à agir de manière tolérante, c’est-à-dire à ce que la philosophie appelle une vertu.
Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, l’Église anglicane, dont le chef est le monarque anglais, avait eu à choisir entre deux attitudes à l’égard des minorités protestantes non membres de l’Église d’État : l’une aurait consisté à faire revenir au sein de l’Église d’État cette diversité ; l’autre, toleration, option qui fut choisie, était une cohabitation avec des églises dissidentes restées extérieures.
En français, nous n’avons qu’un seul mot, tolérance, pour désigner une disposition personnelle et une organisation institutionnelle. Le philosophe Jürgen Habermas a fait la même remarque à propos du calque allemand, Toleranz. Ce n’est pas en soi un problème. Le mot fonctionne plutôt bien dans les deux sens, même si le sens institutionnel rappelle l’Ancien Régime : il s’agit de la « tolérance civile », verticale, de l’État vers des cultes minoritaires, qui est une organisation qui appartient au passé de l’Europe, ou encore, ce qui est différent, plus exigeant, et toujours d’actualité, la « tolérance religieuse » à la fois horizontale et verticale, entre les confessions. L’usage dominant, aujourd’hui, prend le mot au sens de vertu. La philosophie, depuis John Rawls, a redécouvert la tolérance comme une vertu cruciale, politique plus que morale.